wicked stevenson ; UC

Je n'ai pas choisi de venir au monde. Mon père et ma mère ont juste passé un agréable moment un soir d'été : lui a éjaculé, elle a orgasmé, et je suis né, voilà tout. Je n'ai pas non plus choisi ma famille. On va plutôt dire que je suis tombée dans la mauvaise. J'ai grandi entouré d'un fric trop sale pour être utilisé, cadet de deux personnes parfaites, avec des enfants parfaits, une maison parfaite, des domestiques parfaits. Une cuillère en argent dans la bouche ? Je dirai plutôt un manche à balai dans le cul. Ils ont toujours tout fait pour moi, paraît-il, surtout quand, tout gosse, je m'amusais, seul, dans la marre du jardin. Heureusement qu'il y avait Enzo. Mon grand frère. Nous étions les vilains petits canards côtoyant les cygnes majestueux. Et ils nous le faisaient savoir. Très jeune, j'ai eu le droit aux soirées mondaines. Aux courbures sans fins, aux révérences déplorantes, à la bourgeoisie privilégiée du XXIème siècle. Tout en moi puait. J'avais l'impression d'être étranger, je ne méritais pas cette naissance, je me sentais différent, différent de ce monde de courtoisie étouffante. Je voulais m'échapper, et je n'avais que cinq ans. Je voulais déjà accéder à l'Eden, pour y manger le fruit défendu et aller en enfer, j'avais totalement conscience de ma condition, de cet argent pourri qui me donnait le simple droit d'être supérieur à tous ces autres, ces moins que rien qui exerçait un métier. Pourtant, je crevais d'envie de leur ressembler, je voulais à mon tour être moins que rien, je voulais ramasser la merde sur le trottoir, je voulais m'abaisser à leur rang. Je mourrais d'être anormal. J'avais alors sept ans, et je ne supportais plus rien. Je suis alors devenu ce que les gens appellent communément un associable. J'ai vu un psy, une fois. Je lui ait fait peur. Je me rappelle très bien de cette rencontre. L'escalier était blanc, immaculé, et Enzo m'accompagnait. A côté de nous marchait la femme qui nous servait de mère. Ses talons aiguilles claquant sur le sol, me donnant envie de les lui arracher. Me donnant envie de la tuer. Je la détestais, je les détestais tous, autant qu'ils étaient, je voulais m'enfuir, loin, mais non, j'étais encore coincé dans ce putin de bureau de psychanaliste véreux. Il me faisait pitié.

Mon visage ne laissait pas passer la moindre émotion, puisque intérieurement, même si j'étais là, je n'étais en fait jamais né. Tout en moi me criait de fuir, de partir, dans la tombe, déjà. Je n'avais jamais eu cette innocence de gamin, on ne m'avait pas donné les clés pour accéder à ce sentiment puéril. Mes parents m'avaient créé pour faire bonne figure, tout n'était qu'une question d'apparence. S'ils en avaient eu la possibilité, ils m'auraient abandonné sur le bord d'une route, mais leur fierté respective leur en empêchait. Rien que ça m'obligeait encore plus à les haïr. Cette femme m'avait donné naissance, oui, ils avaient découvert l'être que j'étais, ne m'avaient pas aimé, et n'avaient même pas les couilles de me renier. Pathétique. Tout autour de moi puait le pathétique. Le psychiatre se penchait vers moi, me posait des questions irrationnelles. Je ne comprenais pas le sens de ses mots, il me parlait comme à un gamin alors que j'étais tellement, tellement plus mature que lui.

« Alors mon petit, tu veux une sucette ? »
« ... »
« Tristan ? Parles-moi enfin, je ne vais pas te mordre tu sais ! »
« Vous non, mais moi, je vais sûrement vous mordre dans environ 20 secondes. Et allez vous faire foutre avec votre sucette. »

Sur ce, je me mettais à hurler. Je ne l'aimais pas, ni lui, ni elle, ni mon père, ni ma famille. Le seul qui trouvait grâce à mes yeux était Enzo. Simplement parce que lui était comme moi, mais en un peu moins pire. Mon langage devenait petit à petit vulgaire, je ne trouvais que ce moyen pour exprimer ma révolte. Pourtant, ces paroles, je les avais entendu dans la bouche de mon père, durant plusieurs mois, années mêmes. Salope, Pute, Garce, Conne, Trainée. Destinés à ma mère. Et ça ne m'atteignait même pas. Ces mots sortis de la gorge de mon géniteur ne me faisaient aucun effet. Il aurait pu la frapper, il aurait pu la jeter dehors, je m'en serai foutu. De toute manière, j'étais déjà foutu. Rien n'aurait pu m'arracher de cet endroit sordide, je savais que j'étais condamné, simplement parce que je n'avais jamais eu ma chance. Depuis ma naissance, ils m'avaient enfoncé six pieds sous terre, je devais être l'être parfait, le chérubin adulé, j'étais l'inverse. Au final, je n'étais rien de plus qu'un mort-né, un zombie marchant dans l'obscur, je ne m'aventurais jamais à la lumière, elle était bien trop agressive, et surtout, trop belle pour moi. Ils ne comprenaient pas, personne ne comprenait, que j'étouffais.

J'ai neuf ans. Et mes géniteurs se séparaient. Ma mère avait emballé mes maigres affaires dans une valise trop lourde à porter, puis elle me l'avait mise dans ma main rosée par le froid. C'était en hiver. Je laissais derrière moi une enfance indifférente, un père sarcastique, des frères et soeurs trop parfaits pour être réels. Ma mère héritait du boulet, elle en avait conscience et elle le savait, mon père n'avait voulu ne lui laisser que moi, le fils bâtard et indigne que j'étais, l'associable ignoble qui osait porter le nom de Stevenson, nom que je gardais, question d'éthique, bien entendu. Je laissais également derrière moi l'inconstance d'un Enzo pré-adolescent, l'amour de ce frère désinvolte. Il allait être le seul que j'allais regretter. Le seul qui valait la peine que je le regrette, amèrement. Je ne le revis plus jamais, durant mes longues escapades du côté de Greenville. J'habitais dans un trou pommé à deux kilomètres, et je n'étais pas foutue d'aller voir ce frère qui me manquait tant. Tout simplement parce que j'avais hérité de cette putin de fierté qui habitait mes parents. Je devenais comme eux, et pourtant je me répétais inlassablement que j'étais le vilain canard, je devais jouer mon rôle de rejeté. Alors, pour énerver ma mère, je me mis à boire. Et à fumer, aussi. Chaque cigarette se consumait dans ma bouche comme une revanche sur son autorité. Je me détruisais, enfin, j'en avais trouver le moyen. J'avais calculé; je commençais à fumer à douze ans. Selon les statistiques, je serais donc mort dans vingt ans, d'un cancer du poumon. Mort parfaite, pour l'être imparfait.