There are many things I would like to say to you but I don't know how. { Tara.

Il n’était pas tard. De loin pas. Le bar habituellement bondé n’était qu’à moitié plein ce soir-là. Cependant, elle le savait, il se remplirait bien assez vite. Bientôt, elle et ses collègues seraient débordés par les commandes des clients. Vieillards ou étudiants. Mais qu’importe, si cela lui permettait d’aider ses parents à payer ses études. Un sourire accroché à ses lèvres, elle servait tous ceux qui passaient au bar ou qui attendaient tranquillement à une table. De retour derrière le comptoir, Bella se tourna vers elle.

« Hey, c’est pas Elliot là-bas ? »

À peine avait-elle entendu le prénom qu’elle tournait la tête dans la direction que montrait sa meilleure amie. Au milieu de nombreux autres clients, une table était en effet occupée par deux étudiants de l’université. Et l’un d’eux était effectivement Elliot. Même de dos, elle le reconnaîtrait entre mille. Sa façon de se tenir, de bouger. Il était impossible de le confondre avec qui que ce soit. Puis soudain, il se retourna, regardant droit dans sa direction. Tara ne sut pourquoi, mais voir ses yeux soudain posés sur elle alors qu’elle était en train de l’observer la mirent mal à l’aise, bien qu’elle ne le montra pas. Son regard ne se détourna pourtant pas. Elle resta à fixer ce visage si familier et pourtant trop éloigné. À vrai dire, depuis la nuit où ils s’étaient rapprochés, ils ne s’étaient plus vraiment parlés. Probablement parce que Tara préférait l’éviter pour le moment. En effet, tout ça était bien trop récent pour qu’elle prenne le risque d’être seule à nouveau avec lui. D’autant plus qu’il lui avait quasiment avouer avoir des sentiments pour elle, ce qui l’avait grandement déstabilisée. Après tout, il lui avait toujours tourné autour, lui et ses sarcasmes, lui et ses phrases mordantes. Il lui avait toujours paru désagréable, et à son grand étonnement, il était devenu une toute autre personne dans cette vieille maison abandonnée. Il s’était montré doux et protecteur, ce qu’il n’avait jamais fait auparavant. Il s’était totalement ouvert à elle. Et elle n’avait été capable que de l’envoyer balader, encore une fois. Pour finalement retrouver Anthony le lendemain. D’ailleurs, celui-ci n’était pas au courant de cette petite soirée qu’ils avaient passé en tête-à-tête. Et elle espérait bien qu’il ne l’apprendrait pas. Comment réagirait-il s’il apprenait qu’elle avait embrassé son meilleur ami ? La seule personne à qui Tara en avait parlé, c’était à Bella. Et celle-ci avait juré de ne rien révéler, ce pourquoi la blondinette lui serait à jamais reconnaissante.

Le regard toujours posé sur Elliot, tous ces évènements ne purent que lui revenir en mémoire. Le baiser qu’ils avaient échangé était encore brûlant, et elle se surprit à penser que c’était un moment délicieux. Tara se mordit la lèvre et tourna la tête afin de ne pas laisser ses pensées s’égarer, puis elle remarqua qu’il lui adressait un signe de la main pour qu’elle aille chercher leur commande. Un coup d’œil vers sa meilleure amie lui suffit pour comprendre qu’elle ne pouvait y échapper. Celle-ci était occupée avec d’autres clients, c’était donc à elle de s’en charger. Poussant un soupir, la blondinette prit son calepin et se dirigea directement vers leur table. À peine était-elle arrivée qu’Elliot prenait la parole pour l’une de ses habituelles remarques aux sonorités pleines d’arrogance. Finalement, peut-être les choses redeviendraient-elles comme avant, ce qui n’était pas plus mal. Tara n’eut aucune réaction, si ce n’est un mince sourire en coin, consciente que leur petit jeu reprenait. Ce qui se confirma lorsque le beau brun la déshabilla totalement du regard. Étrangement, cela la mit mal à l’aise, bien qu’elle y était déjà habituée. Et alors qu’elle allait prendre la parole pour lui demander s’il comptait commander quelque chose, il lui proposa de s’asseoir à leur table. Le regard de Tara se posa quelques instants sur l’ami d’Elliot puis à nouveau sur celui-ci qui ne l’avait pas lâchée des yeux. Elle n’eut pas le temps de répondre cependant, car Arthur s’éclipsait déjà, les laissant ainsi seuls tous les deux. La blondinette ne dit rien, apparemment hésitante. Ses yeux se posèrent quelques instants sur le bar, afin de vérifier que ses collègues s’en sortaient sans elle, puis elle s’assit sur la chaise que son ami venait de quitter.

« Je veux bien rester un moment, mais pas trop longtemps. Parce que oui, mon boss m’en voudrait. Même si c’est pour tenir compagnie à un estropié. »

Tara lui adressa un sourire amusé tout en jetant un coup d’œil à ses béquilles. À nouveau, elle repensa à cette nuit, au moment où il s’était blessé et à tout ce qui avait suivi. Tout ça lui parut alors totalement irréel. Se retrouver seule en sa compagnie dans une vieille maison en ruine, en plein milieu d’une forêt, à déballer les états d’âme de chacun et à se dévoiler l’un à l’autre. Tara n’aurait jamais pensé qu’une telle situation était possible. Et pourtant, tout ça c’était bel et bien passé. La blessure d’Elliot en était la preuve. Sinon, probablement aurait-elle pensé qu’elle avait rêvé, tout simplement.

« D’ailleurs, comment va ta jambe ? Pas pratique pour draguer, hein ? »

Le ton sarcastique ainsi que la deuxième partie de sa phrase étaient présents avant tout pour masquer le fait qu’elle s’inquiétait encore pour lui. Ce qui n’était guère dans ses habitudes. Ça ne l’avait d’ailleurs jamais été lorsqu’il s’agissait de lui. Mais apparemment, beaucoup de choses avaient changé entre eux. Si c’était une bonne ou une mauvaise chose, Tara était incapable de le dire. Malgré tout, elle s’efforçait de se montrer aussi indifférente que d’ordinaire. Quoique d’ordinaire, elle aurait simplement refusé de s’asseoir à ses côtés. Et pourtant, elle était là, en face de lui, à soutenir son regard désireux et désirable.

Le jeu avait repris. Elle en avait conscience. Aussi plaisant, peut-être plus cruel. Voilà qu’ils se jetaient à nouveau des sarcasmes à la figure. Comme si de rien n’était. Tara faisait comme si de rien n’était. Ce séjour en forêt n’avait été qu’un rêve. Un très mauvais rêve. Une illusion des plus macabres. Que son esprit tentait de rejeter. Une expédition des plus marquantes, mais qui paraissait aussi vide de sens que la plus petite désillusion. Une vision d’horreur qu’il valait mieux oublier. Et puis il y avait eu cette nuit. Une longue nuit d’orage où tout avait semblé faire partie de la quatrième dimension. Se retrouver seule avec lui. Pourquoi ? Comment cela avait-il pu arriver ? Mais ce n’était plus le moment de se poser la question. C’était arrivé, point. Il n’y avait plus rien à ajouter. Mais tout cela avait paru tellement décalé de la réalité. Si loin de tout ce qu’elle avait pu imaginer. Tous ces sentiments contradictoires qui l’avaient envahis durant cette soirée. Tout d’abord la peur, puis l’exaspération. Enfin, le désir, puis la culpabilité. Puis, pour terminer en beauté, la colère, la tristesse, la haine. Et un dernier, bien moins définissable. Tara n’était plus certaine de savoir quel était celui qui dominait en la présence du beau brun désormais. Ou était-ce un mélange de tous ? Un paradoxe à lui seul. Elle le détestait autant qu’elle le désirait. Et la culpabilité la prenait dès que son esprit s’égarait vers des pensées qu’elle n’imaginait même pas avoir. C’était probablement la raison pour laquelle elle l’ignorait autant que possible. Réaction de défense, pour qu’il ne s’attache pas trop à elle. Ou pour ne pas s’attacher à lui ? En tout cas, tant qu’il était hors de son champ de vision, tout allait à merveille. Cependant, elle était là, en face de lui. Bien plus proche que ces derniers jours. Ses yeux plongés dans son regard sombre, énigmatique. Il arborait ce sourire charmeur qui faisait craquer toutes les filles et cet air assuré qu’il avait toujours eu avec elle. Il était alors bien plus facile de jouer le jeu s’il redevenait aussi insupportable que d’ordinaire. Mais allait-il garder cet air arrogant ? Il savait ce qui avait failli la faire craquer, il n’était donc pas à l’abri de recommencer. Mais allait-elle céder cette fois-ci ? Rien n’était moins sûr. Elle ferait en sorte que ça ne se reproduise pas. Surtout que maintenant, elle était avec Anthony. Et qu’avoir embrassé Elliot alors que ce n’était pas le cas l’avait déjà assez culpabilisée. Bien que l’expérience n’avait pas été déplaisante. Néanmoins, elle chassa toute pensée de ce genre afin de rester concentrée sur leur conversation. Après tout, elle lui avait fait une remarque plutôt déplaisante sur ses béquilles, il était alors tout à fait normal qu’il réplique. Ce qui fit naître un sourire au creux des lèvres de la belle.

« Et toi tu oublies que c’est toi qui m’as interdit de bouger pendant que tu allais vérifier. C’est pas ma faute si tu regardes pas où tu marches. »

Renvoyer la balle. Ne pas le laisser avoir le dernier mot. Ça avait toujours été comme ça. Elle ne voyait pas pourquoi cela changerait à présent. Et elle ne se souvenait que trop bien du moment où il l’avait laissée seule au bas des escaliers et qu’il était monté. Pour vérifier. Pour la rassurer peut-être. Pour elle. Un geste apparemment anodin mais qui avait pris son sens lorsqu’il s’était un peu plus ouvert à elle. Montrer ses faiblesses, se dévoiler. Devenir une cible facile si l’adversaire décide de vous couler. Tara ne s’était pas montrée tendre avec lui. Et il n’avait pas tardé à en faire de même. Il avait été dur. Elle l’avait méritée, certes, mais ces remarques lui avaient laissé un goût amer en travers de la gorge. Plus prononcé lorsqu’elle croisait son regard. Ce regard qui l’avait jugée l’espace d’une soirée. Ce regard qui l’avait déstabilisée par sa soudaine sincérité.

Elliot reprit la parole lorsqu’elle lui annonça d’un ton amusé que les béquilles ne devaient pas être très pratiques pour séduire. Sa remarque, de cette voix légèrement moins assurée, provoqua un froncement de sourcils chez la blondinette. Ce qu’il remarqua puisqu’il ne tarda pas à se reprendre afin d’énoncer un sujet tout fait différent. Tara dut retenir un rire, car elle était tout à fait consciente qu’il tentait tant bien que mal de se rattraper.

« Oui oui, je vois. Cette histoire t’a profondément affectée, c’est flagrant. »

Ironie. Sourire en coin. Regard levé vers le ciel. Cette expédition avait été horrible pour beaucoup. Y compris pour elle. Et bien qu’Elliot savait se montrer plus sensible qu’il n’y paraissait, elle n’était pas dupe. Il n’était nullement traumatisé par leur petit séjour dans les bois. Ou alors elle se trompait sur toute la ligne, mais cela l’aurait tout de même étonnée. En tout cas, elle se rendait bien compte que ce qui avait été dit ou fait dans cette vieille maison abandonnée n’était pas totalement oublié. Loin de là. Probablement ressentait-il toujours la même chose pour elle, ce qui provoqua en elle quelque chose d’inattendu. D’habitude, elle mettait le plus de distance entre elle et la personne qui s’attachait à elle. Mais là, c’était différent. Elle n’avait pas envie de le fuir éternellement. Aussi étrange que cela pouvait paraître, ces derniers jours passés sans qu’ils ne parlent ou s’envoient balader lui avaient manqué. C’était presque comme…un besoin. Ce jeu était devenu bien plus que ça depuis longtemps, elle le savait. Se séduire, se repousser. Tout cela les avait mené à cette nuit dans la forêt. Et désormais ils étaient là, l’un en face de l’autre. Assurés en apparences. Mal à l’aise en dessous. Tara n’était plus certaine des réactions à adopter. Et elle n’aurait pas été étonnée que le beau brun soit dans le même cas, si ce n’est plus.
Puis sa question la fit quelque peu redescendre sur terre. Sans se départir de son sourire, elle le regarda sans sourciller. Il savait que ce sujet relevait d’un très mauvais souvenir lorsqu’ils en parlaient tous les deux. Pour la simple et bonne raison qu’il l’avait fait passer pour l’idiote pathétique et égoïste qui faisait souffrir plus qu’elle n’apaisait.

« Puisque ça t’intéresse pas, je vois pas à quoi ça m’sert de répondre. »

Il avait beau s’être excusé, elle ne pouvait totalement lui pardonner. Même si elle était consciente qu’il n’était coupable de rien, si ce n’est d’avoir lu en elle aussi facilement que si elle s’était confiée totalement à lui. Ce qui n’était évidemment pas le cas. Et elle lui en voulait. Elle lui en voulait d’avoir visé juste. Elle lui en voulait d’avoir su la déstabiliser. Elle lui en voulait d’être aussi désirable. Et elle lui en voulait soudain d’être venu dans ce bar. D’être là à la dévorer du regard et à la titiller là où ça faisait le plus mal, bien qu’il n’avait pas été très dur en l’occurrence.
La blondinette fit de son mieux pour rester impassible, même si les souvenirs qui lui revenaient n’étaient pas forcément les meilleurs qui soient. Finalement, elle croisa les bras sur la table, détournant le regard quelques secondes. Avant de le reporter sur le sien, encore dirigé vers elle.

« Mais dis-moi Elliot. Si vraiment ça t’intéresse pas, pourquoi m’avoir demandé de m’asseoir à ta table ? »

Plus de jeu. À nouveau du sérieux. Tara connaissait probablement la réponse. Mais finalement, entendre ses sarcasmes sur sa relation avec Anthony, elle ne le supporterait pas une seconde fois.

Malgré l’obscurité, malgré l’orage, malgré cet air de songe. Tout était encore clair dans son esprit. Elle se rappelait chacun de leurs gestes ou de leurs regards. Inutile de mentionner leurs paroles tranchantes, blessantes. Ces lames qui les avaient marquées pour longtemps probablement. Tout comme ce tendre baiser, encore brûlant sur leurs lèvres. Rien n’avait quitté la mémoire de la blondinette. Même pas le fait que c’est endroit était digne d’un film d’horreur et qu’avoir Elliot à ses côtés avait été une bénédiction. Elle avait beau faire mine de le détester, sa simple présence avait été rassurante. Apaisante. Elle ne saurais décrire avec précision ce qu’elle avait réellement ressenti cette nuit-là. La blondinette s’était sentie tellement perdue, au beau milieu de ces évènements, au beau milieu de ces bois. Et il avait été là, prêt à la réconforter, prêt à la rassurer. Il avait été là pour elle, de bien des manières. Mais Tara avait peut-être trop de fierté pour le lui dire, pour le remercier. Ou peut-être n’avait-elle pas envie de lui donner une raison supplémentaire de croire qu’elle s’affaiblissait devant lui. Probablement inutile, puisqu’il lui était très difficile de mentir sur ce genre de choses. Excepté lorsqu’elle se mentait également à elle-même, évidemment.

« Oh oui, j’avais oublié que t’étais un véritable héros au grand cœur. Je comprends pas pourquoi ça m’est sorti d’la tête. »

Ironie, sarcasmes. Tout était bon pour répliquer. Et quoi de mieux que de lui rappeler ce qu’il se plaisait à dire lui-même ; qu’il était le salaud de service. N’était-ce pas l’image qu’il voulait montrer de lui ? Finalement, il n’était pas très différent d’elle. Chacun avait sa manière de ne pas montrer ce qu’il ressentait. Chacun se cachait à sa façon. Et Tara était tout à fait à-même de comprendre le comportement du beau brun. Ce qui l’énervait d’autant plus. S’il avait été le salaud qu’il s’acharnait à montrer, elle n’aurait jamais vécu une telle situation. Elle n’aurait pas à se poser des questions. Elle pourrait simplement l’ignorer, comme elle avait feint de le faire maintes et maintes fois. Mais tout ne peut pas être aussi simple.
Tara ne réagit pas lorsqu’il lui expliqua qu’il valait mieux profiter de la vie, au cas où il serait le prochain sur la liste. Elle était d’accord, mais ne comptait pas lui dire. Jusque là, elle avait toujours été du même avis, c’est pourquoi les relations durables ne l’avaient jamais intéressée. Ca et aussi le fait qu’elle avait peur d’en ressortir blessée d’une façon ou d’une autre. Prendre des risques dans ce domaine n’avait jamais été son fort. Au moins, elle était sûre qu’Anthony l’aimait. Cela faisait tellement longtemps qu’elle lui faisait mal, qu’elle le faisait attendre. Et le risque qu’elle prenait avec lui n’était pas immense. Elle était consciente de ce qu’il ressentait pour elle. Et elle avait enfin arrêté de nier ses propres sentiments pour tenter le coup. S’il s’était agi de quelqu’un d’autre, probablement n’aurait-elle pas fait la même chose. Probablement aurait-elle continué à fuir.

« Et moi comme tu pouvais être agaçant. »

Répondre du tac-o-tac. Ne pas se laisser déstabiliser, même si c’était le cas. Tara détestait perdre la face, surtout avec lui. Et répliquer était la meilleure tactique qu’elle avait trouvée jusqu’à présent. Oui, il pouvait être agaçant. Il l’avait toujours été avec elle. C’était sa façon à lui de lui montrer qu’il ne lâcherait pas le morceau. Séduction et sarcasmes. Un mélange qui apparemment avait déjà fait ses preuves. Mais avec la blondinette, il semblait avoir du mal, car elle parvenait à le prendre à son propre jeu, malgré son imprévisibilité. Le seul comportement qui l’avait quelque peu troublée était cette soudaine tendresse dont il avait preuve. Une sensibilité qu’elle n’avait pas soupçonnée chez lui jusqu’alors et qui avait bien failli fonctionner. Une sincérité qui l’avait ébranlée. Et finalement, elle n’était pas mécontente que leur petit jeu ait repris. Quoique totalement différent à présent.
Voilà qu’il reprenait ses sarcasmes sur sa relation avec Anthony, ce qui ne faisait que lui rappeler cette nuit. Ces remarques acides, ce jugement qu’il lui avait porté. Tara n’avait aucune envie d’aborder ce sujet. Elle avait encore du mal à le digérer, c’est pourquoi elle avait préféré lui poser cette question. Mais bien y réfléchir, elle ne savait pas ce qu’elle attendait de lui. Qu’est-ce que ça changerait s’il lui disait les choses clairement ? Absolument rien. Elle aimait Anthony. Oui, elle l’aimait, et elle ne voulait pour rien au monde le trahir, le blesser à nouveau. Malgré tout, mettre des mots sur ce qu’Elliot ressentait véritablement pour elle aurait-il un impact quelconque ? Elle ne savait pas ce qu’elle voulait. Peut-être valait-il mieux qu’il ne dise rien après tout. Pour tous les deux. Elle ne savait d’ailleurs même pas pourquoi elle lui avait demandé ça, alors qu’elle connaissait bien évidemment la réponse. Elle ne savait d’ailleurs pas non plus pourquoi elle-même s’était assise à cette table. Avant toute cette histoire, jamais elle n’aurait accepté. Elle aurait pris sa commande, lui aurait fait son plus beau sourire pour le narguer et serait repartie au bar. Voilà ce qu’elle aurait fait. Pas d’histoires, pas de discussion gênante. Un simple jeu qui les aurait amusé tous deux durant une soirée. Mais non, elle était bien là, assise en face de lui. À se remémorer une nuit dont elle avait honte. Non pas parce qu’elle regrettait ce baiser. Mais parce qu’elle regrettait de l’avoir apprécié alors qu’elle en aimait un autre.
Elle poussa un soupir, détournant le regard.

« T’as raison. C’était stupide. Je sais même pas c’que j’fais là…Je devrais sûrement retourner travailler avant que mon boss se rende compte que j’ai déserté. »

Fuir. Esquiver. C’était tout ce qu’elle savait faire. On ne changeait pas les bonnes habitudes. Et encore une fois, elle en montrait un bel exemple. Sans un mot, elle se leva. Puis son regard se posa une dernière fois sur Elliot.

« Passe une bonne soirée. Je suis sûre que tu trouveras quelqu’un qui ne pose pas de questions pour te tenir compagnie. »

Et elle tourna le dos tout en se dirigeant vers le comptoir. Elliot ne pouvait pas voir son visage, mais on pouvait voir ses lèvres remuer, formant des jurons inaudibles contre sa petite personne. Comme elle pouvait se sentir bête en ce moment-même. Si seulement toute cette soirée n’avait été qu’un rêve. Que rien n’était arrivé entre eux. Si seulement elle savait prendre des décisions et s’y tenir. Elle était parvenue à l’éviter tout ce temps, pourquoi donc s’asseoir à sa table ? C’était totalement stupide. Irréfléchi. Inconsciemment voulu.