[TERMINE]« Les talents culinaires... » [KATE]

« Les talents culinaires »
KATE D. MCDAWN & JUDE A. O'COLLINS


feat Hayden Panettiere et Jackson Rathbone

Jude sentit une bonne odeur de cuisine. Il était allongé dans sa tente et l'effluve qui venait des marmitons du campement l'attira. Il se leva, ne sachant pas trop l'heure qu'il était, sans doute midi puisque cela faisait un bon moment que le jour s'était levé et qu'il ruminait dans son sac de couchage, un mal de crâne lui donnait le tournis. Il avala un cachet en prenant une gorgée d'eau de sa bouteille et enfila un short ainsi qu'un banal tee-shirt avant de s'extirpa de son repère. Les rayons du soleil l'aveuglèrent et il dû mettre ses lunettes de soleil pour y voir plus clair. L'atmosphère était apaisante, comme s'il avait imaginé les récents événements. Certains était affairés à préparer leur déjeuner tandis que d'autres s'amusaient un peu plus loin, en se remémorant probablement la veille. Comme si Danae et Aogan n'avaient pas disparu, comme si le corps de celle-ci n'avait jamais été retrouvé. Tout semblait bien aller. Mais ce n'était que des faux semblants. Jude perçut quelques crispations venants de certains des étudiants, d'ailleurs l'un des cuisiniers manqua de renverser une casserole de petits pois. Ils étaient tous préoccupés mais ils préféraient éviter le sujet pour que l'agitation des derniers reprennent. En effet, suite à la découverte du corps de la présidente des Zeta Beta, le campement s'était agité et c'en était devenu une hécatombe, tous avaient perdu leur joie de vivre... Seulement, ce jour-là, Jude avait l'impression que tout s'était effacé de leur mémoire, qu'ils avaient oublié combien ils avaient enduré les jours précédents.
Profitant de ce délicieux moment, le jeune irlandais fit le tour du campement les mains dans les poches. Il avançait tranquillement parmi ses camarades, sentant les différents arômes à chaque fois qu'il arrivait près d'une tente. Cela lui donnait même faim. Cela faisait un bon moment qu'il n'avait pas grignoté quelque chose et son estomac commençait à se manifester. Il se demanda alors ce que pouvait bien faire Tara en ce moment, allait-elle retrouver à nouveau cet Anthony qu'il ne pouvait pas supporter ? Alors qu'il se dirigeait vers sa tente pour lui proposer de déjeuner ensemble, il la vit déguerpir, comme si elle avait le feu aux fesses. Elle lui adressa un grand sourire en passant devant lui mais ne s'arrêta pas. Elle semblait bien occupée et il ne préférait pas l'embêter, du moins pas pour l'instant. Jude adorait taquiner sa sœur, il jouait au sur-protecteur avec elle ce qui l'agaçait au plus haut point et malgré ses protestations, il continuait. L'attitude de la jeune blonde le fit rire et il poursuivit son chemin en pensant à elle. Tara était toujours bonne pour se fourrer dans des histoires farfelues que parfois, il préféra ne rien savoir ; mais à chaque fois, sa curiosité le poussait à bout et Tara finissait toujours par lui révéler la situation.

Il parvint finalement à son point de départ qu'était sa tente. Ses acolytes dormaient encore, ainsi il se décida à préparer le déjeuner. Toutes ces odeurs lui avaient donné faim et pour une fois qu'il s'en occupait, ses compagnons seraient contents. Cependant il s'avérait que Jude était un piètre cuisinier, il savait à peine faire cuire un steak haché, alors quand il remarqua qu'ils avaient seulement de la pâte à crêpes et des carottes à couper dans leurs réserves, il se dit qu'il ferait mieux d'attendre que l'un d'eux se lève. Cela serait plus sage pour éviter qu'il ne fasse un carnage. Il alluma une cigarette et patienta, se disant que ses compagnons n'allaient pas dormir jusqu'à trois heures de l'après-midi... Finalement, son estomac se tordait tellement que la douleur l'énervait. Il allait éplucher ces carottes, et tant pis s'il allait se couper un doigt par la même occasion... Au moins, il aurait quelque chose à se mettre sous la dent. Il s'attela à la tâche et, troublé par l'agitation de Tara, s'entailla légèrement mais assez pour qu'il crie de douleur. Énervé, il balança le couteau devant lui et rangea la carotte à demie préparée. Appuyé contre un arbre, il étendit ses jambes devant lui et scruta les carottes d'un mauvais œil. Décidément, ses talents culinaires n'allaient pas s'arranger pas comme ça, surtout si les carottes étaient hostiles à lui. Méchantes carottes... Il lécha son doigt ensanglanté et le passa sous l'eau.
Le jeune homme de vingt-deux ans resta quelques minutes dans cette position, fumant une seconde cigarette avant de zieuter en direction de la pâte à crêpes. Il n'avait pas envie de saccager un autre de leurs plats mais Jude avait tellement faim qu'il était prêt à tout. Il termina sa clope avant de l'écraser dans un petit cendrier portatif que sa sœur avait eu l'intelligence de lui offrir. Une fois devant la pâte à crêpes dans le saladier, il devait simplement rajouter du lait pour la rendre liquide. Ce qu'il fit, avant de la faire tourner avec une simple cuiller, et il sortit la poêle. Les poings sur les hanches, il fronça les sourcils. Comment allait-il s'y prendre pour faire sauter les crêpes ? Il risquait très certainement d'en lancer une sur la tente... Pas très malin...

Jude réfléchissait à comment il pourrait s'y prendre. Il resta immobilisé avant de se prendre en main. Il était un grand garçon maintenant, il était temps qu'il mette un peu la patte dans le moule. Et puis s'il n'essayait pas, il n'y arriverait jamais. Il y a un temps pour tout, et aujourd'hui O'Collins allait apprendre à faire des crêpes. Ou du moins, essayer d'en faire, car ce n'était pas sûr que tout seul, il y arrive...
Il empoigna la poêle sur laquelle il fit couler doucement de la pâte pour qu'elle épouse la forme du récipient. Il attendit quelques minutes et exécuta pratiquement un saut pour que la crêpe saute. Rien n'y fit, elle ne bougeait pas. Pire elle était complètement broyée, à force de sauter en l'air, Jude l'avait défaite. Il décida de prendre un couteau pour la faire retourner mais il la broya, la crêpe n'était plus qu'en mille morceaux... Mais il en fallait plus pour qu'il renonce, il l'enleva et refit couler de la pâte dans la poêle. Cette fois-ci, il décida qu'il la retournerait directement avec le couteau au lieu de sauter.., cependant la crêpe ne voulait pas se détacher...

« Merde, j'ai oublié de mettre un truc ou quoi ?... »

La crêpe commençait à brûler, cela faisait désormais de nombreuses minutes qu'elle était dans la poêle et Jude n'arrivait pas à la décoller.

Les bonnes odeurs s'étaient dissipées. Autour de Jude, on ne sentait désormais plus que le brûlé de sa crêpe. Les passants fuyaient d'ailleurs. La fumée commençait à accroître et à encercler le jeune homme qui, désespéré, venait de lâcher la poêle dans l'herbe. Il observa quelques instants, dans le silence, sa crêpe qui continuait de cuire. Il éteignit alors le gaz qui se tenait un peu plus loin et fixa à nouveau ses carottes, finalement il aurait dû en manger une crue, il ne se serait pas blessé et ça aurait été plus simple. Il hésita pendant de brèves secondes à prendre ledit légume et le croquer à pleines dents tellement sa faim le tordait de douleur. Cependant, il ne pouvait pas laisser la crêpe dans cet état, la poêle serait inutilisable si elle accrochait trop. Il ne voyait pas d'autres solutions de s'y attaquer au couteau, tant pis s'il devait se blesser à nouveau, il finirait par la détacher et par la jeter. C'était déraisonnable de jeter de la nourriture ici, ils n'avaient plus beaucoup de nourriture et c'était du gâchis, mais personne ne voudrait la manger. Jude n'était pas un bon cuisinier, c'en était une évidence devant ce triste spectacle. Et personne ne pouvait lui en vouloir d'avoir essayé à préparer le déjeuner.
Jude s'assit en tailleur face à la poêle, bien décidé à ce que celle-ci cède sous sa force. Il la fusilla du regard, il était agacé par tout ce travail. Il avait l'habitude qu'on lui prépare de bons petits plats, il n'avait plus qu'à se mettre les pieds sous la table. Or, il se rendait compte au fur et à mesure qu'il était au campement, que savoir cuisiner était un bon point ici ; ainsi il n'avait pas besoin des autres pour manger. Il était dépendant de ses compagnons de tente et il n'aimait pas ça, Jude s'était toujours débrouillé tout seul et c'était même lui qui venait en aide aux autres. Alors devoir attendre qu'on lui mâche le travail pour ce qu'il s'agissait de la nourriture l'énervait au plus haut point. Vivement qu'ils se réveillent ces autres flemmards ; Jude était impatient et lorsqu'il était vraiment agacé, cela pouvait mal tourné. Non pas qu'il était impulsif, mais il avait ce caractère assez ardent de temps à autre qui pouvait le rendre exécrable. D'ailleurs, d'ici quelques minutes, si aucun de ses acolytes ne bougeraient leurs fesses, il irait probablement les réveiller pour leur réclamer le déjeuner. Il pouvait également aller voir d'autres étudiants pour déjeuner avec eux mais ce que voulait l'irlandais c'était ces crêpes. Pour qu'il puisse gagner le match contre la pâte à crêpes et cette maudite poêle. Jude avait effectivement un tempérament de compétiteur et pouvait se révéler être un mauvais perdant. Et ce n'était pas simplement envers cette poêle, il en était de même pour les filles par exemple. Jude n'aimait pas les défaites, qu'on le repousse, bien qu'il n'était pas arrogant. Il aimait simplement relever les défis difficiles. Ses nombreuses expériences avaient fait de lui quelqu'un de combattant, il avait appris à se protéger, lui et aussi les autres.
Alors qu'il campait toujours par terre, des bruits de pas détournèrent son attention. Lorsqu'il releva la tête, il aperçut qu'une jeune fille aux longs cheveux blonds et au visage céleste s'avançait vers lui. Il reconnut tout de suite Kate et un sourire apparut sur ses lèvres. Ça allait rendre les choses intéressantes. Il était sûr qu'elle allait pouvoir l'aider dans sa préparation, ou du moins ce qu'il en restait. La blondinette semblait amusée par la situation, elle arriva à sa hauteur et Jude dû davantage lever la tête pour la regarder dans les yeux, du moins à travers ses lunettes de soleil. Le soleil l'aveugla presque, celui-ci étant dans le dos de Kate.

Jude la vit scruter la poêle qui se trouvait toujours dans l'herbe et eut un rire. Elle allait le démasquer, lui le piètre marmiton. Il fronça les sourcils en pensant à cette idée et se remémora leurs « crêpes parties ». Tous deux étaient de véritables gourmands lorsqu'il s'agissait de crêpes au chocolat et il pensa tout de suite au fait qu'elle allait pouvoir l'aider. Elle devait bien savoir comment faire cuire des crêpes pusiqu'elle adorait ça.
Il porta de nouveau son regard sur elle et remarqua que Kate semblait intriguée par ce qui gisait dans la poêle. Elle finit par lui dire qu'il avait peut-être oublié de mettre du beurre ou de l'huile... Jude réfléchit quelques instants, la main sur le menton. Il était vrai qu'il n'avait rien fait de tel...
Il se mit à moquer de lui, quel gros bêta ! Il n'avait même pas pensé aux éléments essentiels, il s'était contenté de la pâte déjà faite et des ustensiles.

Jude décolla la crêpe et la laissa tomber dans l'herbe. Les fourmis seront bien contentes, elles. Puis il repris la louche avec laquelle il se mit à étaler la pâte sur la poêle. Il se tourna vers Kate, le récipient en main et présenta son plus beau sourire, certes forcé. Il fit les gros yeux avant de battre des cils comme s'il attendait quelque chose de la part de la jeune femme. Il remua sa mâchoire et dit :

Jude se trouvait bête dans cette posture même si la présence de Kate ne le mettait pas mal à l’aise. Tous les deux étaient de bons amis et le fait que la blondinette découvre son piètre talent en cuisine ne le rendait pas moins embarrassé. Il était surtout embêté parce que le campement était enfumé à cause de lui, ou du moins dans les alentours ne sentaient plus très bon. Les bonnes odeurs s’étaient évaporées, de la place du O’Collins on ne sentait plus le parfum des tomates cuisantes, des poissons, de la viande : rien que l’odeur de brûlé. Les autres étudiants le regardaient, incrédules, se demandant comment il avait bien pu en arriver à ce triste état. Il suffisait de regarder dans la poêle pour se rendre compte du désordre qu’il avait fait. Sa crêpe gisait, noircie par le surplus de cuisson, et ressemblait plutôt à un déchet qu’à un aliment prêt à consommer. Manger cette crêpe serait du suicide, elle n’aurait pas de goût hormis celui de charbon et était toute dure. Mais l’arrivée de Kate l’avait détendu, avec elle à ses côtés il serait sûr de manger quelque chose de comestible. Il l’avait aperçu quelques minutes auparavant s’affairer à cuire des pâtes bolognaises et elle avait l’air de dominer la situation ; pas comme lui qui avait oublié d’ajouter de l’huile ou du beurre… Il espérait bien profiter des talents de cuisinière de Kate pour s’alimenter correctement et passer un bon moment, puisque ses compagnons de tente semblaient dormir encore et allaient sûrement se réveiller dans une heure ou deux. Trop pour Jude qui crevait de faim. Son estomac ne l’oubliait pas, il fallait qu’il avale quelque chose. Ainsi Jude s’empara d’une carotte crue et croqua dedans à pleines dents et ne put s’empêcher de se justifier aux yeux de Kate qui le regardait bizarrement :

Il rit à sa stupidité et mâcha en ronchonnant lentement. Puis il entreprit de s’essayer à une nouvelle crêpe avec Kate. Cette fois-ci il ajouta de l’huile au fond de la poêle avant que Kate n’accepte de l’aider. Il voulut lui dire qu’elle pouvait retourner à ses pâtes bolognaises, espérant ainsi en tirer parti mais l’idée de manger une crêpe le hantait depuis qu’il s’était réveillé. Et puis cela pourrait être marrant et au moins il aurait appris quelque chose ce matin-la. Cependant, balayant les alentours du regard, Jude remarqua qu’ils n’avaient rien pour aromatiser les crêpes une fois qu’elles seraient prêtes. De la confiture, du chocolat, du sucre…, rien. Leur mini-frigo ne contenait plus que de l’eau et deux yogourts, et leur stock de petites douceurs -comme il aimait dire pour évoquer le chocolat par exemple- était vide.

Il tendit la première poêle à Kate pour qu’elle s’en occupe avant d’étaler à nouveau de la pâte dans la seconde et dernière poêle prévue à cet effet. Il l’observa du coin de l’œil, constatant qu’elle se débrouillait très bien. Bien mieux que lui en tout cas. Une fois les deux crêpes cuites, celles-ci donnaient très envie. Bien plus que la première. Elles étaient dorées, bien rondes et sentaient si bon. Le creux dans l’estomac de Jude s’agrandissait au fur et à mesure que les senteurs lui parvenaient. Il les huma quelques instants et un grand sourire sur le visage, s’imaginer en dévorer une et apaiser son estomac qui criait famine.
Il se remit à préparer d’autres crêpes et une fois qu’une dizaine était faite, il ne restait plus qu’un fond de pâte dans la boîte en carton. Soudainement Kate reçut de la pâte à crêpe sur le visage, le bras et dans les cheveux.

Certes, Jude n’était pas un talentueux cuisinier mais il savait faire d’autres choses. Il était un bon musicien, quoique Enzo devrait lui donner encore quelques cours de guitare mais il se débrouille plutôt bien ; il est aussi marrant et curieux, il aime la nouveauté et s’intéresse à de nombreuses choses ; il est aussi compréhensif et attentionné envers ses amis. Jude considère donc qu’il a tout le temps devant lui pour apprendre à cuisiner qu’il préfère se consacrer à des activités plus intéressantes. Et notamment la photographie, sa passion depuis sa plus tendre enfance. Il passait son temps, en Irlande, à prendre des clichés de sa famille et des paysages, il n’hésitait d’ailleurs pas à faire arrêter la voiture familiale lors d’un trajet s’il y avait un joli coucher de soleil ou une vache dans un près. Plutôt spontané, Jude réfléchissait toujours après. C’est pourquoi la pâte à crêpes vola directement dans les cheveux et sur la figure de Kate. Son rire résonna dans le campement jusqu’à ce qu’il prenne conscience de son geste. Il réussit à se calmer quelques minutes plus tard, sa main sur le ventre qui se tordait. Une crampe l’avait envahi, dû au manque de nourriture, et aggravé par son rire. Il jura rapidement, ses paroles ne furent pas très compréhensibles et là encore, regretta ses paroles. Il jeta un coup à son amie qui était occupée à regarder dans quel état elle était plutôt qu’à s’intéresser à ses jurons. Néanmoins la posture de Kate le fit d’autant plus rire ce qui n’arrangea rien. Il resta assis par terre à se tordre de douleur, tout en essayant de reprendre son souffle. La journée avait mal commencé mais l’arrivée de Kate était prometteur. Il ne risquerait plus de s’ennuyer avec la blondinette dans les parages. Tous deux avaient l’habitude de se trouver dans des situations insolites, souvent menés par leurs gourmandises respectives. Leur intérêt commun pour les crêpes au chocolat les avait rapprochés alors qu’ils n’étaient encore qu’à l’université. Et la perspective de passer une quinzaine de jours ensemble dans un campement les avait réjouit. Ils allaient pouvoir passer leurs journées à se goinfrer…, et à faire du sport. Cela allait de soi. Ils n’allaient pas manger sans se dépenser ensuite, et même si Kate n’avait pas l’air très sportive à première vue, ce n’était qu’un faux semblant. Tandis que Jude aimait courir, Kate était une vraie pile électrique, toujours prête à pratiquer une activité. Ils se complétaient très bien, excepté lorsque leur gourmandise s’emparait d’eux, ni l’un ni l’autre ne pouvait les arrêter.

Puis sans crier garde, Kate répliqua en lui lançant à son tour de la pâte à crêpes. Jude ne l’avait pas vu venir et tous ses cheveux prirent le coup. Ils dégoulinaient désormais de pâtes liquides, jusqu’à tomber sur ses épaules, et donc sur son tee-shirt. Jude maugréa en sentant la pâte se coller à lui et une grimace apparut sur son visage lorsqu’il vit l’état de ses cheveux. Sa belle chevelure qu’il avait lavé il y a peu. À cause de Kate, il allait devoir retourner à la source pour se débarbouiller. Et pour se venger, il la jetterait bien dedans, quoique ce n’était pas une revanche trop grave puisque la source était un lieu paradisiaque et que l’eau y était chaude. Néanmoins le jeune O’Collins garda cette idée en tête car il n’allait pas se laisser faire, même si c’était lui qui avait commencé. Jude était joueur et cela pouvait se vérifier à de nombreuses reprises dans la même journée ; il ne passait jamais plus de deux heures sans faire un mauvais coup, une mauvaise blague. Mais cela se passait toujours dans la bonne humeur, il n’y avait là aucune mauvaise pensée et aucun mauvais geste. Tout se passait toujours en douceur et il n’y avait que rarement des blessés, et si cela arrivait, ce n’était pas volontaire de sa part. Jude aimait beaucoup les autres, il avait ce côté malicieux en lui qui ressortait dès qu’un de ses amis étaient dans les environs. C’était comme s’il ne pouvait pas s’en empêcher, comme si une force invisible le contrôlait. Et nombreux de ses amis se plaignaient, de bon cœur néanmoins, de son caractère, lui réfutant qu’ils n’étaient pas leurs « punching-balls », chose que ne considérait absolument pas Jude. Pour lui, il s’agissait plutôt d’un jeu agréable, sans aucune réserve mais plutôt bon enfant. En ce sens, beaucoup de ses amis l’appréciaient pour cette qualité même s’ils étaient renfrognés au départ.
Kate le complimenta à son tour en lui disant que les pâtes dans les cheveux lui allaient très bien et qu’il devait se coiffer avec plus souvent… Quelle ironie.

« C’est ça, tu vas me donner des cours de coiffure maintenant ?! Je croyais que ton domaine, c’était la cuisine... »

Jude lui décocha un grand sourire, plein de dérision et ne put s’empêcher de soupirer en la fixant. C’était malin ça… La pâte s’emmêlait dans ses beaux cheveux châtains et ça serait bien compliqué de se coiffer. Mais comme dit le célèbre proverbe, « on récole ce que l’on sème ». Tout de même. Jude ne s’attendait pas à ce que Kate réplique, et encore moins de la même manière. Mais elle avait le sens de la répartie que ne lui connaissait pas si bien l’irlandais, il s’était plutôt attendu à ses rouspétassions de part, mais aucune action. Aucun plat lancé dans sa figure… Oui, Jude l’avait sous-estimé. Et on ne doit jamais sous-estimé une fille, c’est bien connu…
Leurs ventres grondèrent alors que le silence s’était installé pendant qu’ils se dévisageaient. A nouveau le jeune homme lâcha un grand rire bruyant. Oui, il avait très faim. Il attendait la nourriture depuis plus de deux heures maintenant et s’il en avait été capable, il aurait mangé Kate. Elle devrait être plutôt bonne, cette petite… Ils repartirent dans une importante hilarité alors que les deux crêpes qui étaient en train de cuire dévoilent un début d’odeur de brûlé. Jude s’en empara immédiatement et les posa dans une assiette en carton.

« Allez, raboule le Nutella.. », s’exclama-t-il, tout sourire, avide de déguster enfin son repas.

Jude avait faim. Son ventre grondait comme le tonnerre et maintenant ses rires ne dissimulaient plus les bruits. C'en devenait affolant. En cet instant précis, le jeune irlandais aurait été capable de manger n'importe quoi... et n'importe qui. Kate par exemple. Avec ses longs cheveux, sa peau douce, il s'imagina combien elle devait être exquise. Elle aurait sans doute un goût fruité en comparaison avec son caractère dynamique et sa joie de vivre, un peu comme le citron. Frais et rayonnant. Jude la dégusta des yeux, il la contempla un instant s'imaginant la déchiqueter dans tous les sens et dévorer sa jambe. Ou plutôt son bras, il commencerait par son bras droit... Et finirait par sa tête. Oh Dieu non, il n'était pas cannibale ! Il avait juste faim et cela le mettait dans tous ses états. Il avait l'impression de se sentir partir en arrière, comme si une force invisible le contrôlait et le tirait pour qu'il s'allonge de fatigue... Mais il ne se relèverait pas, n'ayant plus de force. Et ça serait Kate qui le mangerait, elle se vengerait et dégusterait les crêpes avant de le bouffer... Sadique Kate !
Non Kate ne le mangerait jamais, elle était bien trop pure pour toucher au poison qu'il représentait, il avait inhalé tellement de bêtises que son sang n'aurait pas bon goût, que sa chaire ne serait pas appétissante. Non, Jude aurait un mauvais goût et il ne voulait pas que Kate ait une mauvaise dernière image de lui. Il se surpris à penser à la mort, un sujet auquel il est rarement confronté. Il ne s'était jamais étendu sur celui-ci, préférant vivre au jour le jour que de se morfondre et à penser que la faucheuse allait venir le chercher dans quelques années, ou quelques mois... ou pire quelques jours... Jude avait eu peu d'occasion dans sa vie pour s'attarder sur les questions existentielles de la vie, ou il les fuyait peut-être. Il n'en savait rien mais il détestait ça, il préférait profiter de chaque instant comme le dernier, ainsi il ne culpabilisait jamais - ou pratiquement jamais. Néanmoins en cet instant, le regard rivé sur Kate et la pâte à crêpe, Jude pensa qu'il voulait une belle mort. Que cela soit une cérémonie joyeuse où l'on puisse se souvenir de lui dans la bonne humeur et non pas dans la mélancolie et le désespoir. Bien sûr qu'il voulait que l'on considère sa mort comme quelque chose de triste mais il ne voulait pas que ses proches se trouvent à pleurnicher autour de son cercueil. Il voulait des couleurs, de la musique, des rires... En somme, de la vie.

Le rire de Kate le fit sortir de sa torpeur. Quelle triste pensée la mort, lui qui en cet instant se trouvait avec une fille pleine d'entrain, il n'allait pas gâcher tout ça. Il la contempla de longues minutes, s'attardant sur chacun de ses traits et apprécia la douceur de ses yeux. Ils étaient pour ainsi dire parfaits, ils étaient ni trop grands, ni trop petits, et avaient une jolie forme, de plus -et surtout- ils illuminaient son visage de par les nombreuses expressions qu'ils dévoilaient. Jude aimait la regarder dans les yeux, il pouvait deviner ce qu'elle pensait, il arrivait de cette manière à la comprendre. C'était son seul moyen pour cerner la blondinette, sinon elle était bien trop complexe pour lui. Elle était un problème de mathématiques, lui qui n'avait jamais été doué en algèbre, il était parfois bien embêté. Mais Kate n’était pas la seule à lui donner du fil à retordre, toutes les filles étaient pour l’irlandais un dur problème de mathématiques. Il n’avait jamais très bien su comment s’y prendre avec elle et avait même dit demander à sa sœur Tara comment il fallait faire. Bien sûr, sa sœur lui avait rit au nez et ne l’avait pas beaucoup aidé, mais elle l’avait conseillé quand même. Jude avait aspiré ses conseils pour faire changer la donne. Ses histoires d’amour avaient toujours été douloureuses si bien que Jude préférait ne pas s’attacher aux personnes de peur d’être blessé à nouveau. Ainsi il voguait à droite, à gauche, sans attendre davantage de l’autre personne.
Jude grimaça lorsque Kate évoqua plusieurs domaines de prédilection, chose qui selon elle n‘entrait pas dans les cordes du jeune homme. Comment osait-elle ? Il était doué en musique, certes Enzo lui donnait quelques précieux conseils, il faisait de la course et avait un assez bon niveau, il était passionné par la photographie et réalisait de jolis clichés et il avait toujours eu de bonnes notes en classe. Tout de même, quatre domaines, c’était déjà bien ! Certes la cuisine était un atout majeur mais entretenir son corps l’était aussi, ou du moins cela avait de jolis avantages. Tout comme avoir de bonnes notes, Jude était de ceux qui n’étaient pas obligés de plancher des heures sur une dissertation pour rendre quelque chose de convenable, il avait cette aisance scolaire que tous -ou la plupart- enviaient. Kate avait peut-être la cuisine comme domaine de prédilection mais lui avait le sport et de ce fait un corps parfaitement sculpté. Au moins, il pouvait ne prêter aucune attention aux kilos superflus.

« Dis donc… tu veux jouer à ce jeu-la ? Moi je suis doué en photographie, en musique, en sport et à l’école… Qu’est-ce que tu dis de ça, hein ?! »

Il lui jeta un regard de défi avant d’éclater de rire. Visiblement, Kate ne semblait pas aussi impressionnée. Ainsi il se demanda ce qu’elle comptait lui répliquer. Était-elle douée dans d’autres domaines en plus de la cuisine et de la coiffure ? Non pas qu’il la sous-estimait mais Jude la prenait pour une fille un peu fragile qui a besoin des autres. Il réagissait de la même manière avec toutes les filles, et notamment avec sa sœur qu’il surprotégeait davantage. Elle avait beau lui affirmer qu’elle contrôlait tout, c’était plus fort que lui. Il ne pouvait pas s’empêcher de se mêler de ses affaires, de donner son opinion et de la conseiller. Il aimait l’épauler et l’agacer, car il avait compris qu’il l’énervait mais cela l’amusait. Il adorait la taquiner pour un rien, leur relation fraternelle était très typique. Ils se cognaient dessus sans cesse, ils s’engueulaient mais ils s’aimaient. Comme le chat et la souris.
Puis Kate alla chercher l’accompagnement avant de déguster leurs crêpes. Le Nutella, pâte de cacao hyper calorique… Plus de sucre que de cacao mais tellement bon… Les deux camarades ne pouvaient pas s’en passer, qui plus est quand ils mangeaient des crêpes. Le Nutella était devenu un rituel, une sorte de passage obligé quand ils faisaient des crêpes.

« Bah ça dépend si tu te dépêches ou pas ! J’ai faim moi ! »

Jude alluma une énième cigarette en regardant Kate partir vers sa tente pour ramener le fameux Nutella. Il étira ses jambes devant lui et l’odeur alléchante de leur repas lui parvint aux narines. Qu’il avait faim…! Son ventre lui faisait toujours aussi mal et il ne cessait désormais plus de gronder. Sa bouche était devenue sèche, affamée, assoiffée. Décidément, c’était une rude journée. Lorsque quelques longues minutes passèrent, Jude se demanda bien où était Kate. Sa tente n’était pas si éloignée qu’elle aurait été déjà été de retour depuis une bonne minute mais lorsqu’il scruta l’horizon pour essayer de la voir, Jude ne la trouva pas. Les nombreux étudiants qui étaient présents auparavant lors de leur préparation étaient rentrés dans leur tente pour faire la sieste ou alors étaient partis vers les cascades pour se rafraîchir. Ils étaient vrai qu’à cette heure-ci, en début d’après-midi, le soleil était haut dans le ciel et de ce fait il tapait fort. Jude commençait d’ailleurs à dépérir. Il avait si faim, si soif… et Kate semblait ne pas revenir… Les minutes suivantes lui parurent des heures. Mais qu’est-ce qu’elle fabriquait ? Était-elle en train de manger du Nutella ? Ou n’en avait-elle plus justement ? Jude s’empara des crêpes, termina une autre cigarette qu’il finit par écraser sur le sol et partit dans la même direction que Kate. Si Kate ne venait pas à lui avec le Nutella, il allait venir avec les crêpes. C’est alors qu’il la vit assise par terre, la tête penchée en avant

« Kate ? Punaise, mais qu’est-ce que tu fou ?! » dit-il en rigolant.

Lorsqu’il s’avança vers la jeune femme, il remarqua qu’elle était secouée et que visiblement elle ne voulait pas se retourner vers lui. Tout à coup, l’angoisse s’empara de Jude. Lui était-il arrivé quelque chose ? Ou était-ce de sa faute ? Il posa les crêpes près de lui et s’agenouilla près d’elle. Il n’était pas très doué dans ce genre de situations, même s’il était toujours là pour ses amis il ne trouvait que rarement les mots qu’il fallait. Il posa sa main sur l’épaule de la jeune blondinette et avec l’autre essuya les larmes qui ne cessaient de couler sur ses joues. Il voulut l’apaiser mais les sanglots de Kate affluaient. Il espéra intérieurement que rien de grave ne lui soit arriver même s’il avait été là, à quelques dizaines de mètres, sans se rendre compte de rien. Il lui frotta le dos avant de l’attirer contre lui et de la serrer dans ses bras.
Il attendit un peu que Kate se soit calmer et il tenta :

« Kate… Euh… qu’est-ce que… enfin si tu veux m’en parler… mais j’aimerais… bien… enfin j’aimerais bien savoir ce qui ne va pas… Tu… tu m’inquiètes… »

Jude avait attendu Kate près de sa tente une bonne vingtaine de minutes avant d'aller la chercher. Il l'avait trouvé heureuse, gaie ce midi-la, à tel point qu'il ne comprenait pas pourquoi elle mettait du temps à revenir. Le fuyait-elle ? Lui était-il arrivé quelque chose ? La peur s'était emparé de l'irlandais. D'habitude, cela ne serait jamais arrivé -ou du moins ce sentiment l'aurait envahi après un instant plus long - mais les événements liés à la forêt l'avait rendu plus prudent. Désormais, Jude angoissait dès qu'un de ses amis était en retard ou avait eu un problème. Lui qui ne croyait pas aux mythes de la forêt avait déjanté lorsque Danae et Aogan avaient disparu puis avaient été retrouvés morts. Il s'était fait une raison et maintenant il n'avait qu'une envie : quitter le campement, rentrer à Greenville et se trouver le plus loin de la forêt. Bientôt il serait de retour dans la ville et la perspective de s'y retrouver lui faisait garder le moral. C'est ainsi que voyant les minutes défiler, Jude n'arrivait plus à tenir en place. Il devait savoir où était Kate et ce qu'elle faisait. Le jeune homme de vingt-deux ans agissait toujours de la sorte lorsque cela concernait ses amis et sa famille. Il avait ce côté sur-protecteur envers les personnes auxquelles il tenait et même s'il avait beau tenter de se rassurer, cela ne marchait jamais. Il avait ce besoin de savoir, de tout contrôler... C'en était même devenu maladif. Mais qu'importait, Jude voulait savoir Kate en sécurité. Et qui disait en sécurité, disait avec lui. Pour Jude, ses proches n'étaient en sécurité qu'auprès de lui, et même s'il ne savait pas se battre, même s'il ne serait pas forcément d'une grande utilité, il voulait être présent. Il voulait toujours être là pour les autres. Et qui plus est pour Kate. Elle était pour lui une grande amie, une sorte de besoin vital. Sans elle, Jude ne savait pas ce qu'il deviendrait. Elle l'amusait, elle lui donnait le sourire, elle lui donnait envie d'avancer, de grandir mais aussi de garder une part d'enfant en lui. C'est pourquoi ils aimaient manger des crêpes ensemble, même si le plus souvent c'était leur gourmandise respective qui les guidait. Avec elle et leurs « crêpes parties » comme ils l'appelaient, Jude se sentait redevenir l'enfant qu'il était lorsqu'il habitait encore en Irlande. Ils étaient insouciants tous les deux, ils profitaient de la vie et de ce qui les entouraient sans se poser mille et une question. Jude appréciait la compagnie de mademoiselle McDawn parce qu'elle le transportait et parce qu'elle arrivait à lui faire oublier ses problèmes quotidiens. Kate était une vraie pile électrique, elle aimait bouger, faire des activités, tout ce qu'appréciait Jude. Lui aussi pouvait s'avérer être une pile de nerfs qui n'attendait qu'une chose : s'activer. Lorsqu'il l'avait rencontré, Jude avait aussitôt su que Kate ferait partie de sa vie, qu'elle serait pendant longtemps à ses côtés et il espérait, parfois lorsqu'il pensait à leur amitié, qu'elle durerait encore de nombreuses années. Pour une fois, il était sûr d'une chose : que Kate ne soit pas qu'une vieille connaissance lorsqu'il aurait quarante ans. Pour lui, Kate allait rester une grande amie, sa grande amie, comme d'autres étudiants du campement, mais elle resterait unique à ses yeux. Elle était adorable, compréhensive, dynamique, franche et sensible. Ce dernier trait de caractère, la sensibilité, était le plus apprécié de Jude. Il appréciait le fait qu'elle soit fragile, pour lui elle était une boule de cristal, aussi fragile et aussi belle.

C'est pourquoi l'attente lui parut interminable. Ainsi il alla la retrouver et quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'il la repéra accroupie derrière sa tente, la tête penchée en avant prise dans ses mains. Alors même qu'il lança une réplique humoristique, il remarqua qu'elle n'allait pas bien. Il se maudit alors de lui avoir parlé de la sorte et chercha aussitôt à la réconforter. Même si les mots étaient durs à prononcer, même si Jude n'était pas le meilleur des conseillers, il faisait toujours un effort pour ses amis dans le besoin. Il s'assit près d'elle et l'attira alors contre lui. Il l'entendait sangloter et préféra la laisser quelques minutes avant de s'adresser à elle. Puis il caressa doucement ses longs cheveux blonds et sentit que Kate se resserra contre lui. Non, elle n'allait vraiment pas bien. Au fond de lui, Jude espéra que la jeune femme allait se confier à lui. Il l'appréciait tellement qu'il avait besoin de savoir ce qui se passait. Comme ça, il se serait excusé de son comportement si la faute l'imputait. Ou il aurait tenté de la consoler, peut-être avec des mots maladroits, mais il voulait être là pour elle. Il devrait d'ailleurs le lui dire. Lui dire que Kate pouvait toujours compter sur lui même si parfois les impressions qu'il pouvait lui donner montraient le contraire car il l'appréciait vraiment. Il n'aimait pas la voir si mal, voir ses larmes couler le long de ses joues, voir ses yeux remplis de larmes, voir la tristesse s'emparer de son si joli visage. Il la laissa reprendre ses esprits et la regarda. Oui, ses yeux avaient rougi par les larmes, les traits de son visage étaient tirés comme si elle était exténuée. Il la serra d'autant plus contre lui et attendit. Il ne savait pas si la regarder la mettait encore plus mal à l'aise alors il laissa son regard papillonner à droite et à gauche. Mais il n'était pas pour autant désintéressé de la situation. Il voulait surtout ne pas la rendre encore plus triste..., même s'il ne savait encore la raison de son mal-être. Puis Kate pris la parole. Sa voix étaient tremblotante, elle hoquetait mais ses mots étaient tout de même compréhensibles. Jude l'écouta attentivement et lorsque Kate lui évoqua le décès de sa sœur jumelle puis de son meilleur ami, ou de son petit ami, il aurait voulu la serrer contre lui davantage mais il allait l'étouffer s'il continuait. Il se contenta de poser un baiser sur son front et d'écarter les mèches humides qui barraient son visage. Une deuxième larme coula sur sa joue et de son pouce, Jude l'arrêta. Ils restèrent quelques minutes sans un mot, collés l'un contre l'autre.

« Je... Kate... C'est... Je... Enfin c'est triste... Enfin je suis triste pour toi, pour ta sœur et ton ami... Je ne peux pas comprendre ce que tu ressens... Je suis pas doué pour ce genre de choses... Mais euh... »

Jude se tut. Il racontait n'importe quoi. Il valait mieux qu'il se taise. Alors il resta près de la jeune femme, en silence. D'innombrables pensées se bousculaient dans sa tête. Il ne savait pas s'il devait s'excuser auprès de Kate et tenter de la réconforter -mais cette perspective semblait ne pas se montrer très convaincante- ou s'il devait la prendre par la main et l'emmener s'amuser. Au fond de lui, il aurait aimé la consoler, l'épauler et en apprendre davantage sur elle. C'était un moment propice à cela mais Kate n'en avait peut-être pas envie. Peut-être qu'elle culpabilisait déjà d'en avoir trop dit. Ce dont Jude était certain, c'est qu'il ne voulait pas la mettre mal à l'aise. Il voulait que Kate se sente bien avec lui, qu'elle n'appréhende aucune de ses actions, aucun de ses gestes mais il était difficile pour le jeune homme de savoir ce qu'elle voulait. Surtout dans ces moments-la.

« Kate... Écoute... Je tiens à te dire que... Je suis là pour toi si tu veux parler davantage... Mais je ne te force pas... Je t'écoute, je suis là et je pars pas. Je serais toujours là pour toi, ma petite Katy. Jamais je te laisserai... Et... »

Jude plongea ses yeux dans les siens. Il voulait lui transmettre tout son soutien. Il voulait qu'elle sache qu'il était là pour elle, et uniquement pour elle. Qu'elle se sente bien, ou qu'elle aille mieux. Qu'elle se confie ou qu'elle parte pour se changer les idées. Qu'elle sourit ou qu'elle pleure. Jude serait là pour elle. Il ne parlait plus, il la regardait. Elle était si belle, son visage était si singulier, ses pommettes d'enfant étaient toujours là, ses cheveux étaient si beaux et si doux. Il caressa ses cheveux et sentit sa tête s'appuyer contre son épaule. S'il n'avait pas eu aussi faim, il aurait pu rester des heures dans cette position, or son ventre se manifesta à nouveau. Il fit mine de l'ignorer pour ne pas gâcher cet instant mais son ventre reprit de plus bel. Finalement, il jeta un coup à Kate qui s'en était aperçue. Il lui adressa un sourire coincé et commença à se redresser pour atteindre l'assiette en carton qui contenait les crêpes lorsque tout à coup, un énorme bruit résonna dans tout le campement. Puis les installations, les objets virevoltèrent au-dessus d'eux. La tente fut brusquement soulevée dans les airs pendant que Kate et Jude furent légèrement projetés sur le côté. Des flammes jaillirent de la tente voisine. Tout s'était passé en quelques secondes et lorsque Jude rouvrit les yeux, il était allongé dans la terre, près de Kate. Il se redressa rapidement et sentit la chaleur des flammes proche de son corps. Il tourna la tête et vit que la tente voisine à celle de Kate avait subi une petite explosion. La tente était en feu, celle de Kate avait également été touchée. Des étudiants couraient dans tous les sens, certains tentaient d'éteindre le petit feu qui s'était déclaré tandis que d'autres essayaient de savoir s'il y avait eu des victimes. Jude s'agenouilla près de Kate qui avait les yeux ouverts, des larmes coulaient le long de ses joues. Il avait envie que ses pleurs s'arrêtent, que sa tristesse disparaisse et que son visage retrouve sa légendaire luminosité. Il avait envie de voir Kate debout, tout gaie.

« Kate ?... Kate ?!.. Tu m'entends ?! Kate ?! Merde, Kate ?!!! »

Le corps inerte de Kate devant lui lui donna la nausée. Son corps tout entier tremblait, ses yeux étaient défaitistes et ses mains cherchaient à tâtons celle de la jeune femme. C'est alors que Jude vit le sang couler le long de sa main. La source était l'arrière de sa tête. Effrayant. Sanglant. Terrorisant. Un sentiment de panique s'empara du jeune irlandais qui soudain se sentit partir en arrière. La vue de sang l'avait toujours rendu malade et cela serait un miracle si cette fois-ci, il ne tomberait pas dans les pommes. Mais pour Kate, il ne pouvait pas être inconscient. Il fallait qu'il se calme, que sa respiration retrouve un rythme normal et tout se passerait bien. Ou du moins, il allait essayer de rendre les événements moins tragiques qu'ils ne l'étaient pour l'instant. Allongée sur le sol, blessée, salie par les débris, Kate n'était pas belle à voir. Mais là n'était pas la préoccupation de Jude qui de toute manière l'aurait toujours trouvé jolie. Il observa les alentours quelques secondes, gardant la main de Kate dans la sienne, en la serrant très fort et remarqua que le feu commençait à perdre de l'ampleur. Mais d'autres étudiants avaient été blessés et l'on s'attardait sur ces derniers. Kate et Jude étaient derrière les débris qui auparavant constituaient la tente de Kate, si bien qu'ils étaient plus ou moins cachés. Jude ne pouvait pas laisser la jeune femme seule ne serait-ce qu'une minute, pour lui c'était inconcevable. Il avait si peur de la perdre, si peur qu'elle s'en aille qu'il voulait être présent, être à ses côtés durant les moindres moments. Il resta agenouillé près d'elle, gardant sa main dans la sienne, lui donnant un peu de chaleur. Comment réanimer une personne inconsciente ? Jude n'en savait fichtrement rien ! En cet instant précis, il se maudissait de ne pas avoir suivi des cours de secourisme ; rien qu'une journée ! Cela ne lui aurait pris qu'une foutue journée ! Mais au lieu de ça, il avait préféré rester chez lui avec des potes, à boire de la bière... Et maintenant Kate gisait là, inconsciente. Il s'en voulait, il se détestait, il se haïssait, il hurlait contre lui intérieurement. Il n'avait jamais fait les bons choix. Oui, il était un raté. Qu'un pauvre type qui ne savait rien faire. Jude était inutile, c'était un bon à rien. Un déchet. Fallait-il lui donner des claques ? Lui faire du bouche-à-bouche ? Lui faire un massage cardiaque ? Bon Dieu, il ne voulait pas la tuer en essayant de lui sauver la vie ! Et puis qu'est-ce qu'il dirait aux parents de Kate ? Qu'il était désolé, qu'il a tout essayé mais parce qu'il était con et immature, elle était morte parce qu'il n'avait pas fait les gestes de premier secours ? À coup sûr, il finirait enfermer dans un hôpital psychiatrique tandis que des parents enterreraient leur jeune fille...

Jude décida alors de ne pas en rester là. Tant pis, même s'il ne le voulait pas la laisser seule, il fallait qu'il aille chercher des secours. Il y avait des étudiants à trois mètres d'eux mais parce qu'ils étaient cachés par la tente, personne ne venait. Et il n'allait pas rester les bras croisés à ne rien faire, juste à regarder Kate s'enfoncer dans l'inconscience. La situation était devenue insoutenable pour l'irlandais. Il fallait qu'il fasse quelque chose et vite. Il posa délicatement la main de Kate sur son ventre et lui donna un baiser sur le front avant de se relever et d'aller chercher de l'aide. Il fit quelques pas seulement et fit face à un triste spectacle. Trois corps étaient allongés sous des draps blancs et deux autres subissaient des massages cardiaques. Jude eut envie de vomir. Il sentit la bile lui remonter dans la gorge. Le feu était désormais maîtrisé mais il avait ravagé des tentes sur son passage. Certains étudiants étaient en larmes, d'autres étaient livides. Jude se fraya un chemin parmi les débris et couru vers un groupe d'étudiants. Haletant, il s'écria :

« Hé vous !.. Vous... vous savez réanimer une... une personne ? Il y a une... une fille là-bas, Kate... Derrière la tente ravagée... Elle... elle est inconsciente...! Et elle... saigne de la tête... »

À ces mots, Jude se sentit vaciller. Kate saignait de la tête... D'innombrables pensées obscures se bousculèrent dans sa tête. Il pria quelques secondes, presque inconsciemment, que Kate ne meure pas. Quel con ! Il ne lui avait rien dit, il n'avait pas eu le temps, il n'avait pas été l'ami qu'il avait toujours voulu être pour elle, il avait encore besoin d'elle, merde ! Il ne fallait pas qu'elle meure, pas maintenant, pas tout de suite. Oui, il avait besoin d'elle. Qui allait lui faire la cuisine maintenant ? Avec qui allait-il partager ses crêpes ? Et le nutella ? Avec qui allait-il rire jusqu'à en avoir mal au ventre ? Avec qui... allait-il vivre ? Tout à coup, Jude se sentit dépérir. Il était fichu si elle ne s'en sortait pas. C'en aurait fini de lui. De Jude O'Collins. Il deviendrait un pauvre zombie, il disparaîtrait de la surface de la terre. Il la retrouverait et ils mangeraient leurs crêpes au Paradis. Cette vision le fit sourire mais ce fut un bref instant car l'un des garçons du groupe hocha de la tête et suivit Jude. Quelques secondes plus tard, ils arrivèrent près de Kate. Une flaque de sang était apparue de la tête de la jeune femme.

« Putain... Elle est bien amochée ta p'tite copine, là... » fit remarquer le jeune étudiant à Jude.

Sa petite copine ? Kate n'était pas sa petite copine. Elle était une très bonne amie, certes, mais Jude ne l'avait jamais vu comme tel. Ou si, il se l'était imaginé, une fois. Lorsqu'elle l'avait sauvé d'une fin certaine, la sienne, lorsqu'il n'avait plus à manger. Il s'était imaginé Kate, vêtue d'un tablier, sortant de leur cuisine et dire : « à table » ; Jude aurait été assis sur le fauteuil du salon, près de leurs deux têtes blondes d'enfants qui se seraient accourus près de leur mère pour goûter à ses fameuses crêpes parce que bien sûr, ça aurait été le jour de la chandeleur. En fait, cette idée lui était venue il y a quelques minutes avant que Kate ne se retrouve propulsée par l'explosion et qu'elle tombe inconsciente. Que pauvre type. Il aurait dû lui dire, lui en parler, lui faire savoir combien il tenait à elle. Mais maintenant, ça semblait être trop tard. Même le gars qui l'avait accompagné n'avait plus beaucoup d'espoir. Non ce n'était pas possible. Pas maintenant, pas elle... Pas Kate. Non, elle allait s'en sortir. Et même si elle devait passer quinze jours à l'hosto. Il serait là, à son chevet, rien que pour elle. Tant pis. Fini la forêt. Fini les conneries. C'était devenu trop dangereux. Danae, Aogan et maintenant Kate. Non. Ils allaient rentrer tous les deux à Greenville, bien sagement, et ne plus faire les irresponsables. Jude avait trop souffert, rien ne s'était passé comme prévu. Trop de mauvaises choses s'étaient passées. Il y avait eu les disparitions mais aussi son escapade dans la forêt parce que Tara avait voulu y aller. Et lui, il l'avait suivi parce qu'il ne voulait pas la laisser seule. Ils s'étaient retrouvés coincés et avaient dû passer la nuit à la belle étoile. Autant dire que Jude avait donné dans les mauvaises situations. Comme s'il avait eu besoin que Kate se retrouve là, allongée, inerte. Jude aurait tellement aimé pouvoir remonter le temps. Que leur crêpe party ne se termine de cette façon, qu'ils soient en train de les manger paisiblement tous les deux. Mais ce n'était pas possible. Jude ne possédait pas ce don. La mine dépitée, Jude ne put s'empêcher de rétorquer :

« On s'en fou ! Réanime-la ! Il faut qu'elle... qu'elle... qu'elle vive ! Allez, s'te plaît ! »

L'étudiant s'activa et commença à dévêtir Kate. Jude se tourna, il ne voulait pas voir ça. La situation lui était trop insupportable. Voir Kate, impuissant, se faire réanimer par quelqu'un d'autre que lui le rendait jaloux. Et pourquoi lui, il ne savait pas faire ? Pourquoi il avait perdu du temps à se lamenter sur son sort ? Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?... Il fit les cent pas pendant que le jeune homme commençait le massage cardiaque. Il se tournait, se détournait, se retournait. C'était pénible. Le jeune homme avait une telle force que Jude avait l'impression qu'il allait lui briser la cage thoracique. Un autre garçon du groupe arriva et prévint qu'une voiture était prête. Ils emmenaient les blessés à l'hôpital. Ça y est. C'était donc la fin de leur aventure fracassante... Ils allaient enfin sortir, Kate allait pouvoir être soignée et tout allait bien se terminer. Finalement, l'idée de Jude allait pouvoir se faire... Kate allait pouvoir faire d'autres crêpes avec Jude, ils allaient pouvoir rigoler à nouveau. Tout allait rentrer dans l'ordre. Enfin presque... Parce que Kate devait encore se battre. Elle devait tout faire pour s'en sortir même si le massage cardiaque était censé la faire revenir à elle. Elle devait lutter en son fort intérieur pour retrouver sa conscience, pour redevenir celle qu'elle était et celle que Jude appréciait. N'en pouvant plus, trouvant que le massage cardiaque était interminable, Jude s'accroupit près de la jeune blondinette et lui prit la main. Il la serra si fort qu'il eut l'impression de voir une grimace sur le visage de Kate.

« Kate ?! Kate ?... » dit-il doucement.

Il approcha son visage du sien. Il caressa son nez avec le sien et eut l'impression de sentir son souffle contre son visage. Celui-ci s'illumina. Comme si on venait de lui annoncer une merveilleuse nouvelle. L'espoir. Jude était empli d'espoir. Il resta longtemps à regarder la jeune femme. Il voulait que son regard la fasse réagir, comme lorsque l'on est gêné quand quelqu'un nous regarde avec trop d'insistance. Puis tout s'enchaîna. L'étudiant arrêta le massage cardiaque et avec Jude ils transportèrent Kate jusque dans une voiture. Elle semblait avoir repris conscience mais Jude n'en était pas sûr. Par malchance, la voiture dans laquelle se trouvait Kate était complète et Jude dû monter dans une autre. Le chemin qui les menait jusqu'à l'hôpital parut à Jude une éternité, comme s'ils avaient roulé pendant plusieurs jours. Il ne supportait pas que Kate se trouve ailleurs qu'avec lui. Elle était dans le véhicule de devant, allongée sur la banquette arrière. Jude scrutait celui-ci mais il n'arrivait pas à la voir. Avait-elle réellement repris conscience ? Avait-elle parlé ? Avait-elle ouvert les yeux ? Jude était impatient d'arriver à l'hôpital pour que Kate subisse tous les examens et les soins nécessaires. Mais il voulait aussi la voir, la serrer contre lui, la savoir en sécurité avec lui.
Finalement ils arrivèrent à l'hôpital et Kate fut encore loin de lui... Des médecins se chargèrent d'elle et Jude se trouva dans la salle d'attente. Dans une attente interminable. Toute une vie. Ou presque.