zoltàn ─ once again, i fall to the ground ; done.

─ MAMAN, j'ai envie de faire pipi !
La petite sœur de Zoltàn, Franciska, braillait en hongrois dans la voiture depuis presque une heure. Lui qui n'avait pourtant que onze ans, âge bien puéril, ne se plaignait jamais. En fait, il ne disait jamais rien. Littéralement. Il regardait le paysage défiler à une vitesse qu'il jugeait – silencieusement – ahurissante, la tête posée dans sa main droite, le haut du crâne touchant la vitre. Quoi que regarder était un bien grand mot. Ses yeux était embués, brillants, mais n'exprimaient aucunes émotions pourtant. Lui en ressentait. C'était à l'intérieur, au creux de son ventre, dans le fond de son cœur que tous se jouait. Et qui pouvait voir son chagrin ? Qui pouvait déceler dans ce visage impassible une quelconque trace d'émoi ? Personne. Il n'avait pas encore quitté la Hongrie qu'il ressentait déjà le mal du pays. Et ce mal, il le ressentirait sans aucun doute pendant un long moment. Peut-être pour le reste de son existence, qui savait ? Le père, Twdor, nom imprononçable pour qui n'était pas hongrois, conduisait aussi silencieusement que son fils pleurait. Si jamais il arrivait à Zoltàn – prénom qui se prononçait le plus simplement du monde, comme celui de sa petite sœur – de pleurer bruillament face à lui, il risquait de se prendre une dérouillée. C'était le prix à payer. Jamais, au grand jamais Twdor ne levait la main sur son épouse ou sur sa fille. Le fils prenait pour les autres. Bien évidemment, il ne voulait pas que sa mère ou sa petite sœur soient battues. Mais qu'avait-il fait au bon Dieu pour mériter un père aussi hargneux ? Quand un enfant était frappé par son père – frappé, pas battu, nous sommes d'accord – c'était généralement une fessée, une claque en pleine figure. Le père de Zoltàn préférait les coups de ceinture. Et pour le coup, Zoltàn était vraiment battu. Sa mère, Piroska, ne disait jamais rien. Mais elle pleurait. Zoltàn l'entendait quand il recevait la ceinture en cuir dans son dos. Il se focalisait sur ce qui l'entourait, non sur la douleur. Quand cela avait-il commencé ? Si les coups n'avaient débuté qu'un an plus tôt, le père avait toujours détesté le fils. Pourquoi ? La question ne détenait pas de réponse. Zoltàn était apparemment tous sauf un enfant désiré. Son père le rappelait souvent à sa mère, par les mots. Et il avait prit soin de l'enseigner à son fils un an plus tôt, par les gestes. Pendant combien de temps encore le cauchemar durerait-il ? Zoltàn ne se posait pas la question. La souffrance sur le moment était bien suffisante. Inutile de l'enflammer encore plus en se demandant quand elle cesserait.


─ BON A RIEN ! SALE CHIEN ! Mais comment j'ai pu avoir un fils pareil, c'est pas possible !
Zoltàn le savait. Quand il entendit hurler son père à l'autre bout de leur maison de Greenville, en Alabama, municipalité dans laquelle la famille Anzelm avait emménagé trois ans plus tôt, il savait que son père viendrait le chercher dans sa chambre, seul lieu de la maison que Zoltàn appréciait un temps soit peu, pour l'amener jusqu'au salon et le frapper. A quatorze ans, Zoltàn ne disait toujours rien. Bien sûr, il savait parlé. Il n'en ressentait tout simplement pas la nécessité. Les mots ne résonneraient pas son père. Twdor ouvrit brusquement la porte de la chambre du jeune garçon, qui ne bougeait pas. Il attendait simplement que sa punition habituelle tombe. Twdor attrapa son fils par le col de sa chemise et le mena jusqu'au salon. Il le colla, ventre au mur, au premier qu'il avait trouvé.
─ Lèves ta ch'mise ! Lèves ta ch'mise, plus vite que ça ! Braillait Twdor.
Zoltàn entendait la boucle de ceinture de son père passer à vive allure sur le cuir. Il entendait la respiration saccader de ce vieil ours bourru qu'il n'avait jamais considéré comme son géniteur. Il leva sa chemise par réflexe. Mais il savait ce qu'il allait faire. Il sentit presque le bras de son père se relever, près à abattre la ceinture contre sa peau pâle aux nombreuses cicatrices rose ou rouges, tout dépendait du moment où il les avait euent. Puis soudain, il extirpa un petit canif de la poche de son pantalon, se retourna en direction de son père et se jeta sur lui.
─ ASSEZ ! ASSEZ ! Hurla t-il de la voix qu'il n'utilisait jamais.
Il n'avait jamais était aussi audacieux. Jamais aussi violent, surtout. Il pointa le canif sous la gorge de son père, qui fixait son fils avec de grands yeux où se mêlaient peur, étonnement et... amusement ?
─ Enfin fils... Enfin tu te rebelles un peu. Allez... lâches-moi ça, tu pourrais te blesser.
Twdor n'eut à faire qu'un simple mouvement de bras pour rejeter son fils, et un autre mouvement pour se relever. Il remit sa ceinture d'un geste rapide, prit le couteau des mains de son fils, lui donna une tape sur l'épaule et lui murmura gentiment :
─ Tu peux retourner dans ta chambre.
Zoltàn ne se fit pas prier. Il y alla d'un pas chancelant, encore sous le choc. Et il y pleura. Des nuits et des nuits.


La scolarité de Zoltàn était de ces scolarités tellement étranges qu'on en parle pas. Oui, il avait de bons résultats, mais son éternelle habitude de ne pas parler le poursuivait. Vous savez ce que je veux dire. Il ne parlait ni à ses camarades, ni à ses professeurs. Il se contentait de faire vérifier ses exercices en début de cours, quand on lui posait une question, il allait écrire la réponse au tableau. Aucune communication par la voix. Et Dieu sait qu'il avait une douce voix. Un timbre agréable. Timbre qu'il gardait pour lui. Ou pour le peu de personnes avec qui il acceptait une conversation. Il fallait qu'il vous accorde sa confiance. Qu'il vous estime. Et il se révélait être un garçon des plus agréables. Mais tellement solitaire. Tellement triste. Après le défi pour le faire parler venait celui pour le faire sourire. Il vivait depuis des années à Greenville, et peu de personne avait pu recueillir l'étincelle de ses yeux, quand il souriait. Ces études à ce que j'appellerais l'université était basé sur la littérature, domaine dans lequel il était le plus à l'aise, et de loin.
Vous me parlez du mythe ? Des légendes environnantes ? Bien sûr qu'il en fut intéressé. Qui ne le serait pas ? - plus de monde qu'il ne le pensait. Mais il était impassible. Comme d'ordinaire. Personne ne pouvait vraiment savoir ce qu'il en pensait. C'était son secret. Parmis tous les autres qu'il gardait pour lui.