{ Stupid guy&Stupid girl's meeting } Feat Noah A. McAllister

Assise sur un rocher humide, la tête posée contre un tapis de mousse, Kiana profitait de l’occasion pour prendre le soleil et se reposer un peu. La journée de la veille avait été particulièrement éprouvante, et elle ne s’en était pas sortie indemne, puisque des égratignures, des coupures recouvraient son corps, parsemé de tâches bleuâtres qui provoquaient une sensation douloureuse au moindre effleurement. Elle était épuisée et pour cause : sa nuit avait été épouvantable, peuplée de cauchemars, de monstres en tout genre, de grottes effrayantes et d’éboulements terrifiants. Vous admettrez qu’elle avait particulièrement besoin de calmer ses angoisses. Depuis leur retour, elle était restée seule dans son coin, ignorant tous ses amis, dont certains commençaient à s’inquiéter pour elle. Il n’y avait pas de quoi. Elle allait bien. A priori. Elle avait connu pire. Pas vrai ? Oui bien sûr. Elle s’était renfermée dans son mutisme habituel, alors qu’elle avait laissé s’échapper quelques mots durant l’expédition. Il ne fallait plus qu’elle commette ce genre d’erreur, c’était bien trop dangereux de se dévoiler ainsi, surtout devant de telles personnes. N’oublions pas qu’elle était accompagnée ce jour-là de Maxim et Enzo, entre autre, deux personnes devant lesquelles elle ne devait jamais paraître aussi faible. C’est pour cela qu’elle avait décidé de s’éloigner aujourd’hui. Au moins, elle était sûre d’être tranquille. Maxim, Tara, Joshua et Enzo n’oseraient sans doute pas sortir aujourd’hui. Et le bruit de l’eau qui ruisselait de la cascade l’apaisait véritablement, elle se laissait bercer par ce son doucereux qui l’endormait peu à peu.

Lorsqu’elle ouvrit les yeux, la brunette ne sut pas très bien où elle se trouvait d’abord. Il lui fallut quelques minutes pour réaliser qu’elle s’était assoupie à l’ombre d’un arbre, et une autre minute pour comprendre d’où provenait son mal de dos soudain. La roche était loin d’être confortable, c’est le moins que l’on puisse dire. Eblouie par le soleil, elle plissa les yeux pour apercevoir qu’elle n’était plus seule. Elle n’eut aucun mal à reconnaître ce garçon, dont le nom lui échappait encore pour l’instant. Elle avait pourtant une excellente mémoire photographique mais ne parvenait pas à se souvenir de son prénom. Boh … Ca n’était pas dramatique puisqu’il allait sans doute l’ignorer, comme il le faisait si bien habituellement. Elle ne lui en tenait cependant pas rigueur, elle croyait comprendre la raison de sa rigidité. Saleté de fierté masculine ! Enfin … Kiana se releva doucement, bien décidée à ne pas prêter attention au jeune homme. Elle redescendit de son perchoir et s’agenouilla près du lac, surplombé d’une magnifique cascade et s’asperga le visage d’eau afin de se ressaisir, de se réveiller un peu. Elle lanca malgré elle un regard à … Euhm … Noah, qui l’avait lui aussi remarquée. Mais peu importait, elle ne devait pas lui porter la moindre attention, il ne le méritait pas. Elle lui avait offert une épaule sur laquelle pleurer et lui ne lui adressait même plus la parole, sans la moindre raison apparente. Elle détestait qu’on agisse de la sorte, alors qu’elle n’avait à priori rien fait de mal. D’accord, il s’était confié à elle, et alors ? Cela l’empêchait-il d’être aimable avec elle ? Dans ce cas, elle ne se gênerait pas pour lui faire comprendre qu’elle n’appréciait pas son attitude, et encore moins le fait qu’on joue ainsi avec elle.

S’apprêtant à rejoindre le campement, la demoiselle décida qu’il était de toutes façons bien temps de rentrer. Elle devait se reposer, son dos lui faisait mal, et elle avait désormais très envie de voir Kilian, qui avait dû beaucoup s’inquiéter pour elle. Et puis elle devait voir Enzo, s’assurer qu’il allait bien, et qu’il n’était pas en compagnie d’une autre fille qu’elle. Jalouse ? Si peu voyons. D’autant qu’elle n’avait aucune raison de l’être mais bon … Certaines choses ne s’expliquent pas pas vrai ? La jeune fille reprit alors sa veste ; qu’elle avait déposée sur la branche d’un arbre pour ne pas la salir, et l’enfila rapidement. Elle ne voulait en aucun cas le déranger … Et il faut dire aussi qu’elle n’avait pas pour habitude d’être méchante, ce pourquoi elle préférait éviter une confrontation directe avec les gens qu’elle n’aimait pas, même si au fond elle n’avait rien contre lui. Si ce n’est bien sûr qu’il s’était servi d’elle et qu’aujourd’hui, il en avait honte. Etait-ce si difficile pour un homme de se montrer faible ? Encore que ça n’était même pas être faible, que de parler à une fille et de lui dévoiler ses peurs, ses états d’âme. Lui n’assumait pas le fait d’être comme tout le monde, voilà tout. Et Kiana ne se laisserait pas avoir deux fois.

Il se tuait. A petit feu. Irrémédiablement. Pouvait-il en être autrement, alors qu’il se levait tous les matins si tôt ? Il n’avait certes pas de montres ou de portables pour vérifier, mais le soleil était rarement levé lorsqu’il ouvrait les yeux. L’obscurité lui faisait peur : elle éveillait toutes ses craintes, voire la Peur elle-même. Pouvait-il faire autre chose que trembler de tous ses membres ? Noah ne s’était jamais donné des airs d’invincibles, mais ne s’épanchait que rarement, voire jamais. Se plaindre ou confier ses peurs auraient été une erreur : il se sentait déjà bien assez faible comme cela et n’avait pas besoin d’une épée de Damoclès supplémentaire au-dessus de sa tête. Frissonnant, il remonta ses couvertures jusqu’au cou, et ferma les paupières, décidé à attendre que le jour se lève, cette fois, avant de mettre le nez dehors. Ce matin, il n’était pas d’humeur à provoquer sa frousse, sachant trop bien qu’il se trouverait encore une fois ridicule, une fois le soleil à son zénith, et entouré de ses camarades. Car bien qu’il n’en soit pas à sa première semaine de campement, il ne parvenait décidemment pas à se faire à l’ambiance mortifère de la forêt : elle lui faisait toujours aussi froid dans le dos, et il jurait entendre des sons étouffés parfois, dans ses profondeurs. Cela ressemblait à des pas, à des rires, des soupirs parfois… et c’était eux les pires, ces soupirs. Il n’avait jamais apprécié ce son, défaitiste ou désespéré. Humain ou non, ça ne faisait que réveiller la Peur, et il n’avait vraiment pas besoin de cela. Est-ce qu’il se répétait ? Poussant un grognement rageur, il se dit pour la énième fois que ce lieu lui retournait l’esprit, et qu’il n’aurait vraiment pas du venir. Quelle idée d’avoir un si gros orgueil lorsqu’on était aussi trouillard qu’il l’était… Le pire dans tout cela étant qu’il en était parfaitement conscient ! Il savait qu’il ne tiendrai sans doute pas jusqu’au bout, sentait que lorsque les pires galères pointeraient le bout de leur nez, se serait pour sa pomme, car victime idéale. Pauvre petite chose tremblante et innocente. Pauvre petite chose…

Et Noah du s’endormir, car lorsqu’il rouvrit les yeux, l’atmosphère lui semblait déjà plus claire. Il du s’armer de patience avant de pouvoir s’extirper de ses couvertures et de son sac de couchage, et vit qu’en effet, une lumière vive tentait de se frayer un chemin jusqu’à l’intérieur de sa tente. Il soupira, son si désagréable à ses oreilles, avant de sortir. Allait-il lui arriver quelque chose aujourd’hui ? Reviendrait-il entier jusqu’à sa tente, le soir venu ? A vrai dire, il n’en avait aucune idée. Et ce n’est pas cela qui l’avait attiré ici, certainement. Il était pour une vie longue, heureuse et certainement monotone. Les morts violentes ne l’intéressaient pas, loin de là. Néanmoins, plus le temps passait, et plus l’ennui le prenait. Certes, des bruits étranges lui parvenaient parfois, mais n’était peut-être que le fruit de son imagination : si évènements étranges il devait y avoir, événements étranges il n’y avaient pas encore eu. Il commençait sérieusement à douter de la véracité de cette légende ancestrale, qui courait sur la forêt. Et si tout cela n’était qu’un canular après tout ? Bien sûr, aucun de ces jeunes n’avaient été revu mais… peut-être étaient-ils simplement partis ? Pour changer de vie, quelque chose comme cela. Il secoua la tête, un sourire en coin, écoeuré de sa propre bêtise. La frousse prenait peu à peu le contrôle de son esprit, il fallait croire. Il ne rentrerait déjà plus comme il était parti : sans doute qu’après cette pseudo aventure, il sursauterai à la moindre porte qui claque, au moindre bruit de pas. Au moindre soupir, y compris le sien. Voilà qui avait de quoi le rassurer…

Il n’avait aucune idée de l’heure qu’il pouvait bien être. Le camp était loin d’être agité, et il ne mit pas longtemps avant de se décider à prendre la direction de la cascade, plus à l’est. C’était un des seuls endroits où il se sentait bien, un des seuls qui ne le faisaient pas trembler. Bien sûr, il évitait soigneusement de penser au cimetière indiens, non loin de là. Il faisait même de grands détours pour l’éviter. Rien qu’y penser lui faisait dresser les cheveux sur la tête, à vrai dire… Levant les yeux au ciel, il ne mit pas longtemps avant d’apercevoir la lumière plus vive des environs de sa destination. Il entendait déjà le bruit agréable de l’eau qui se jetait dans un petit bassin naturelle, en bas de la cascade. Il savait que là, il pourrait goûter au calme et à une quelconque sérénité, dont il avait bien besoin en ces temps troublés. Il pénétra donc dans le cercle d’herbes hautes, plissant les yeux, agressés par la lumière du soleil, plus vive en ces lieux que nulle part ailleurs. Un sourire en coin vint orner ses lèvres, alors qu’il se laissait littéralement tomber au sol, les paupières déjà closes. Ici… il se sentait en sécurité. Sans doute ne l’était-il pas autant qu’il le pensait, mais peu lui importait. Lorsqu’il entendit un son étouffé, comme si quelqu’un était tombé, suivit de bruits de pas, il préféra ne pas bouger un muscle. C’était bien sa vaine, lui qui se sentait justement des plus détendus, voilà qu’on le contredisait à peine l’avait-il seulement pensé… Mâchoire crispée, il perçu le bruit de l’eau qu’on remuait, puis de nouveaux des pas, qui s’éloignaient cette fois. Alors, il osa ouvrir les yeux, se relevant légèrement, se servant de ses coudes comme support. Oh... ainsi ce n’était qu’elle. S’en fut assez pourtant, pour lui ôter toute idée de détente. Elle justement… qui lui avait arraché confessions sur confessions. Il se rappelait à peine ce qu’il lui avait dit, ignorait s’il lui avait parlé de sa sœur, toutefois, il n’avait pas compté le nombre de fois où le mot « Peur » s’était échappé de ses lèvres. Crispé, il fut tout de fois surpris de voir qu’elle ne faisait même pas semblant de le rejoindre. Il l’évitait, c’est vrai, depuis des jours et pourtant… il fut presque vexé de ce manque d’attention. Prenant son courage à deux mains, il se leva d’un mouvement souple, et rejoignit la jeune femme, s’apercevant au passage qu’il ne connaissait même pas son prénom. « N’est ce pas moi qui suis censé t’éviter ? » observa-t-il d’un ton moqueur, alors qu’il ne parvenait pourtant pas à dissimuler entièrement la tension qui l’habitait. « Est-ce qu’on inverse les rôles, alors ?... »

Quant à ce qu’il lui avait pris ? C’est vrai que ce n’était pas son genre d’aborder les gens de cette façon, encore moins ceux qu’il était censé fuir. Mais à vrai dire, il s’était senti piqué au vif devant l’indifférence de la jeune femme, son égo de mâle peut-être, l’avait rattrapé, ce dont il ne chercherait pas à se défendre. Noah était de ces garçons qui se perdent entre féminité et masculinité : son apparence, sa silhouette ne permettait pas qu’on le qualifie de viril et pourtant, il avait toute l’attitude du parfait salaud, du beau gosse qui se la jouait mystérieux, histoire de faire claquer le plus de filles possible en une soirée. Il se la jouait oui, et se dégoûtait au fur et à mesure que sa vie avançait, que son côté mauvais garçon prenait le pas sur celui, plus réservé, qui n’attendait qu’un peu d’attention, qu’un peu d’amour. Et cette fille là, lui avait offert toute une soirée sans ouvrir la bouche. Mais cette fille, qu’il ne connaissait ni d’Eve ni d’Adam, lui avait prêté une oreille attentive et il avait parlé. Trop, beaucoup trop. Elle savait à présent, l’amour quasi-incestueux qu’il vouait à une sœur qui le haïssait de toute son âme, elle connaissait la Peur qui le hantait depuis tout petit. Et après… comment pouvait-elle seulement s’étonner de sa distance ? Certes, elle ne savait pas à quel point il lui avait coûté de tout balancer, comme ça, si facilement. Et même si ça lui avait fait, quelque part, beaucoup de bien, il ne pouvait que se sentir faible devant celle qui connaissait à présent la moindre parcelle de son passé. Alis, Enzo, Agyness… tous deux ne connaissaient rien de son passé, de ses pensées à son propos. Il restait obstinément muet à ce sujet, comme à beaucoup d’autres d’ailleurs. Trop secret, sans doute l’était-il. Mais il avait peur. Peur qu’on le rejette, peur d’être seul. Et pour un mec qui passait son temps à convaincre son entourage qu’il n’était qu’un loup solitaire de plus, c’était franchement paradoxal. Mais qu’y pouvait-il ? C’était son mode de vie, sa façon de penser. Il était ambigu et compliqué. Il n’avait aucune confiance en lui, en l’avenir… qu’en était-il des sentiments ? Lui qui jurait ses grands dieux qu’il ne tomberait jamais amoureux, qu’il ne s’attacherait à personne. Il ne faisait que cela. Il se perdait dans les méandres de ses relations, et, comble de l’horreur, se liait d’amitié. Il eu un sourire forcé, alors qu’il se tenait toujours près d’elle.

« Qu’est ce que tu veux, Noah ? » Et voilà qui suffit à le faire taire. Mais oui, que voulait-il, au fond ? Rien peut-être, voire tout. Qu’elle était bête cette question, on pouvait y répondre de mille façons différentes sans pour autant satisfaire le curieux. Néanmoins, ces quelques mots le turlupinèrent un instant. Lancées ainsi au vent, ces paroles avaient eu le don de le déboussoler, de le faire douter. Pourquoi s’était-il confié à elle cette nuit là ? Pourquoi s’était-il levé ? Pourquoi l’avait-il rejointe ? Et surtout… pourquoi lui avait-il adressé la parole ? Elle n’était rien pour lui, ne l’avait jamais été. La confidente d’une soirée, sans doute avait-elle déjà oublié la moitié de ce qu’il avait bien pu lui raconter. Alors… pourquoi ce besoin de se justifier ? Il soupira, et baissa les yeux un instant, cherchant peut-être les mots juste pour lui répondre. Mais il avait beau tourner et retourner la question dans sa tête, rien de satisfaisant ne lui venait. « Je te croyais muette. » lança-t-il finalement en relevant la tête. Comment cela, ça n’avait aucun rapport ? Peut-être, néanmoins, elle ne pouvait s’attendre à obtenir une réponse claire de sa part, puisqu’elle avait eu la preuve, quelques jours plus tôt, qu’il avait bien du mal à mettre de l’ordre dans son esprit. Il eut un nouveau sourire, pas vraiment chaleureux : « Tu avais l’intention de rentrer, non ? » fit-il alors qu’il désignait, d’un geste nonchalant, le cœur de la forêt. Il l’observa un moment, par la suite, guettant sa réaction. Elle était plutôt jolie à vrai dire. Quelque chose comme de la malice s’attardait sur les commissures de ses lèvres, et dans les fossettes qui se formaient lorsqu’elle parlait. On sentait une peine lointaine dans son regard, et puis… un espoir aussi. Noah se dit à nouveau qu’il serait bon, peut-être de connaître son nom et puis… finalement non. Peu lui importait. Il ne souhaitait pas franchement faire plus ample connaissance avec elle, qui savait tout. Et qui pourtant, ne devait rien représenter, au risque de le mettre en danger.

« Je t’accompagne. Et peut-être qu’en chemin, je trouverais ce que je peux bien vouloir. » dit-il finalement, alors qu’il jetait un coup d’œil distrait vers les bois, étrangement silencieux. Dans ses yeux à lui, on ne devait voir ni espoir, ni tristesse. Juste un bon kilo de peur, sans doute. Et qui sait, un étrange besoin d’affection ?

Non, il ignorait en effet tout le mal qu’il avait pu lui faire en l’évitant ainsi : c’était malheureusement la principale caractéristique des êtres aussi narcissiques qu’il l’était. Ne pas faire attention au monde qui l’entourait était aussi le moyen le plus simple d’éviter les blessures, et Noah n’avait plus envie de souffrir, par aucun sentiment que ce soit. Il se trouvait déjà bien trop entouré, bien trop apprécié, et n’était pas certain de s’en sortir aussi indemne qu’il l’espérait, le plus effrayant étant sans doute qu’il ne détestait pas cela. Sans doute était-il masochiste, ou quelque chose dans ce style, pour aimer autant flirter avec la douleur. Oui, c’était cela sans doute… toutefois, il fut presque étonné de se sentir quelque peu vexé par le refus de Kiana. Qu’elle souffre, il ne s’en doutait pas un instant, c’est vrai. Mais lui en l’occurrence, faisait en cet instant même, un effort considérable de sociabilité et surtout, d’amabilité, ce qui n’était vraisemblablement pas son style. Le blondinet serra les poings, regrettant son altruisme soudain, bien qu’il n’y eut sans doute que lui pour appeler son geste de cette façon. Son ton froid suffit à lui rendre son masque hautain, et il n’eut soudain qu’une hâte : s’éloigner de celle qui en savait trop. Mais alors qu’il était sur le point de se retourner, et de franchir le pas qui le séparait de l’ombre peu rassurante des bois, la voix de le petite brune le retint, et c’est presque avec regret qu’il tourna la tête vers elle, sans pour autant arborer un air ravi. Néanmoins, il était assez curieux de savoir pourquoi, après l’avoir envoyé paître si familièrement peu de temps auparavant, elle le retenait soudain.

Kiana sembla se perdre un instant dans ses pensées, et il ne fit aucun commentaire. Il n’était nullement pressé, en revanche, ce n’était pas de gaieté de cœur qu’il supportait la compagnie de cette gamine, qui avait certes pris le temps de l’écouter, mais qui ne lui en était pas moins devenu antipathique depuis, pour une raison aussi obscure pour elle que pour lui. Toutefois, lorsqu’elle ouvrit de nouveau la bouche, il haussa un sourcil. N’était-elle pas en train de lui faire du chantage ? Noah se tourna complètement vers elle, bien décidé à ne plus la quitter des yeux, tant qu’elle ne lui aurait pas soumis son idée. Hésitante, les mots sortaient difficilement, mais lui était de plus en plus révolté : comment pouvait-elle s’abaisser à faire une chose pareille ? Peut-être n’avait-elle pas l’intention de le trahir, peu importe sa réponse, mais lui ne la connaissait pas et était en cet instant persuadé qu’elle n’hésiterait pas à aller raconter à tout ceux qui voudrait bien l’entendre qu’il avait aimé passionnément sa propre sœur. « J’te le demanderais pas si j’avais le choix, je te le jure. J’t’en prie, ne me déteste pas pour ce que je vais te dire. » Voilà qui était surprenant. Un rictus vint déformer un court instant les lèvres de Noah. Ne pas la détester ? Mais rien de plus simple : qu’elle cesse immédiatement son petit marchandage, et il ne pourrait pas la mépriser plus qu’en cet instant. Ils partiraient chacun de leur côté, et sans doute leur relation s’arrêterait là. Elle ne manquait décidément pas de toupet celle-là. On avait toujours le choix : c’était à nous de connaître les possibilités qui s’offraient, et surtout, de bien choisir. Kiana, elle, s’était royalement plantée. Sa voix tremblante toutefois, et son air hésitant, avaient le don de l’intriguer, et il ne pouvait se convaincre de faire le moindre pas en arrière. Il voulait savoir pourquoi elle en était venue à s’abaisser à un tel acte, et surtout, savoir ce qu’elle comptait lui proposer en échange de son silence…

Et il manqua de tomber en syncope. Rendre jaloux Enzo ? Comment pouvait-elle seulement songer à ce qu’il l’aide à accomplir une telle chose ? Et d’ailleurs… comment pouvait-il l’aider à faire un truc pareil ? Non, décidément, Kiana était dérangée, et il n’avait pas l’intention de s’attarder davantage. Oui, il était son meilleur ami. Elle l’avait dit elle-même et malgré tout, elle continuait d’espérer qu’il l’aide. Chantage ou pas, jamais il n’accepterait une chose pareille. Quoique ce soit d’ailleurs, car elle n’avait pas encore détaillé sa proposition. Chose qu’elle ne tarda pas à faire puisque avant qu’il n’ait pu faire le moindre geste, Kiana avait déjà joint les lèvres à celle de Noah, et lui ne pu qu’écarquiller les yeux de stupeur. N’était-elle pas censée être une petite gamine timide et parfaitement muette ? Une fille un peu trop timide et que la moitié du camp voulait visiblement protéger, pour une raison qu’il n’avait jamais vraiment compris. Il n’avait pas encore fait le moindre geste, qu’elle reculait déjà, murmurant des mots qu’il ne compris pas, et qu’il ne tenait absolument pas à comprendre. Il serra brusquement les poings, et s’il n’avait pas baissé les yeux à cet instant, il aurait vu les joues de la demoiselle s’enflammer. Comment pouvait-elle penser que… mais s’il n’acceptait pas, il était sur de perdre sa tranquillité. Ses dents rejoignirent sa lèvre inférieure, qu’il mordit sans retenue. Lorsqu’il releva les yeux vers Kiana, elle rougissait toujours, mais il n’en fut pas ému le moins du monde. « Tu l’as dit toi-même, Enzo est mon meilleur ami. » commença-t-il, les yeux aussi froid que la Mer du Nord, qui bordait sa ville natale. « Et tu penses réellement que je pourrais le trahir de cette manière, pour les beaux yeux d’une fille que je ne connais même pas ? Je me demande à quoi tu joues… » Ce qu’il ne dit pas en revanche, c’est à quel point il était persuadé à présent, qu’elle ne mériterait jamais son ami. « Si tu tiens à ton chantage, trouve autre chose. Mais pas ça… jamais. »

Ses excuses ne lui firent ni chaud ni froid. Un célèbre adage disait : « mieux vaut demander pardon, que la permission ». Noah quant à lui, y croyait très peu. Pour lui, il n’y avait pas pire mot que « pardon ». Quelle pire façon de se rabaisser aux yeux de quelqu’un qui ne le méritait sans doute pas plus que vous-même ? Il secoua imperceptiblement la tête.« Ne me demande pas de t’excuser, ça ne changerai rien. Et ne me dis pas que tu regrettes, je ne te croirai pas. » Souffla-t-il, le regard aussi dur que la pierre. Il ne savait que penser d’elle. Elle lui reprochait encore il y a peu de l’ignorer, et elle lui proposait à présent de rendre Enzo jaloux. Que cherchait-elle ? Et pourquoi lui ? Bien sûr… Enzo était son meilleur ami. Mais elle ne faisait pas là un choix judicieux, puisqu’il y avait bien plus de chance de voir se voir refuser un tel acte avec un être si proche de celui qu’elle cherchait à faire souffrir. Il haussa un sourcil, et chassa d’un geste nerveux une mèche blonde, amenée devant ses yeux par une brise passagère. Et voilà que finalement, elle lui avouait ne rien vouloir dire… était-ce là une ruse ? Ou était-elle sincère ? « J’avoue que j’ai du mal à te suivre. Me faire peur ? Pourquoi ? Juste pour t’aider à faire souffrir mon meilleur ami ? » Siffla-t-il… Un rictus mauvais vint déformer sa bouche, alors qu’il quittait la jeune fille du regard, pour perdre le sien dans les eaux mouvementées de la cascade. Elle méritait à peine son attention et pourtant… cette petite brune attisait sa curiosité. Il y a encore peu de temps, elle passait pour être la petite muette de service, qui n’avait manifestement pas le moindre d’intérêt pour le reste du campus. Et voilà qu’elle parlait, soudain, et qu’elle lui proposait en plus d’allez copuler tranquillement dans les bois. La situation avait vraiment quelque chose de drôle… Levant les yeux au ciel, il l’entendit soupirer, et revint sur elle. Il fallait être particulièrement obtus pour ne pas voir qu’elle s’en voulait beaucoup. Qu’elle ne compte pas sur lui pour l’aider à expier son péché.

« Je n’ai pas l’intention d’allez lui dire quoique ce soit, mais sache que s’il l’apprend par un autre moyen… je ne nierai pas. » Quoiqu’il fût évident qu’il n’en saurait sans doute jamais rien, c’était à son tour de faire peur à la jolie brunette. Néanmoins, on ne pouvait pas dire qu’il était insensible à son attachement pour Enzo. Après tout, il restait son meilleur ami et voir une personne capable de l’aimer peut-être autant que lui, ça ne pouvait le laisser de marbre. Il en était d’autant plus blesser, lorsqu’il voyait qu’elle n’avait pas hésité une seconde avant de lui proposer de le rendre jaloux… Il était partagé entre amusement et indignation, et ces sentiments l’exaspéraient. Noah aurait simplement voulu l’exécrer, comme il avait si bien réussi à le faire avant qu’il n’aille tenter de se faire pardonner, quelques temps auparavant. Ce fut à son tour de soupirer, et d’esquisser le geste de lui tourner le dos. Elle le retint vite, en lui attrapant le bras, lui demandant encore une fois de se taire. Il s’immobilisa, sans rien dire, sans lever les yeux sur elle. Visiblement, son silence lui tenait à cœur et il aurait donné cher pour connaître le fond de son cœur… était-ce uniquement pour son orgueil personnel et sa réputation de petite vierge effarouchée qu’elle tenait à son silence ? Ou était-ce parce qu’elle tenait réellement à Enzo ? Le doute le tenaillait, et il ne pouvait se résoudre à choisir. Il avait, somme toute, bien du mal à la voir comme la parfaite petite innocente que tout le monde voyait encore…

« Je ne te promet rien. » dit Noah, avant de se tourner vers elle, jusqu’à ce que leurs regards s’accrochent. Elle ne devait surtout pas croire qu’elle prenait son parti, oh que non. Il prenait le sien. Comme toujours, au moins souffrirait-il moins à la fin, si souffrance il devait y avoir. D’un geste sec et efficace, il dégagea son bras de la poigne de la jeune fille, dont il ignorait d’ailleurs toujours le prénom. « Et ne t’avises pas de proposer ce genre de truc à qui que ce soit d’autres… ou tu peux être sûre que ce n’est pas Enzo qui souffrira le plus, au final. » Une menace ? Sans doute. Il était coutumier du fait dès qu’il s’agissait d’une personne qu’il aimait : elles étaient si peu nombreuses qu’il se surprenait à les protéger excessivement. On n’irait pas le changer, et qu’elle ait un si joli minois, ou qu’elle sache si bien jouer de son air angélique ne suffirait pas à arrêter sa colère.