« Look at ... HER?!? » Ryan

Je reposais mon stylo, peu fière de ce que j'avais écrit, mais ça faisait du bien. Assise en tailleur sur mon lit, une peluche serrée contre mon cœur, je lisais et relisais mes mots. De l'autre côté du mur, des mots me parvenaient "Mais tu vois pas que c'est moi qui l'ait là?" "Désolé, mais entre noir et bleu marine, j'vois pas la différence" "Bah elle y est pourtant la différence ... MAIS FAIS PAS UNE PASSE A L'ADVERSAIRE ENFIN !! " Mes frères. Bande d'idiots bêtes qu'ils étaient. J'ai posé ma peluche sur le lit et j'ai pris la feuille de papier. Écrire, ça faisait du bien, relire, ça faisait plus mal encore. Si quelqu'un tombait dessus, je m'en voudrais surement. Dans le tiroir de ma table de nuit, j'ai pris un briquet. Je suis allée à la fenêtre, et j'ai brûlé mes états d'âme en même temps que ma feuille de papier, tous s'envolant au gré du vent. Je suis retournée m'assoir et j'ai pris un gros livre faisant plus penser à un grimoire de sorcellerie qu'autre chose. Son titre : La vie des Triplés Papa n'a jamais vraiment eu de bonnes idées pour les titres. Notre vie. A moi et mes deux frères, toute réunie en ce seul grimoire que grand mère leur avait acheté peu de temps avant notre naissance.

Les premières pages sont tout aussi importantes que les autres, même si au fond, on ne nous voit pas. Enfin, façon de parler, car nous sommes bien là, au chaud, dans le ventre de maman. Deux mois après le début de la grossesse qu'elle avait déjà l'impression qu'elle allait exploser. Heureusement que ce n'était pas le cas, mais je me doute bien que tout n'a pas du être facile pour elle. Une grossesse multiple, c'est toujours quelque peu difficile. A cette époque là, mes parents vivaient à Belfast. Et oui, bien que je sois née à Dublin car les moyens étaient plus présents pour une grossesse de ce genre, j'ai habité Belfast pendant huit ans. Irlandaise et absolument fière de l'être, je vous l'accorde. Les légendes sous les photos, cette écriture fine, ronde et penchée. Maman n'avait rien d'autre à faire de ces journées. Celle ci me fait toujours rire : "Trois petits gars attendent de rejoindre la famille". Nous étions tellement à l'étroit la dedans que chaque échographie montraient trois garçons au lieu de deux. Ceci explique cela. Au bout de six mois de grossesse, mi novembre. Maman écrivait fièrement : Johan, Jordan et Ryan attendent impatiemment de vous rejoindre. Et voila l'une des premières histoires de ma vie : l'origine de mon prénom. Suite à cela, le vingt-et-un décembre d'un calendrier était entouré en rouge. C'est le jour de notre naissance. Comme de convenue avec mes frères, presque, histoire de faire une belle surprise aux parents, je suis arrivée la dernière. Naissait à Vingt-trois heures trente deux Ryan Paulie Evans, troisième (et dernière) enfant de George et Maggie Evans.

Suite à cela, des étapes de notre vie. Si étant nourrissons, nous différencier était chose difficile, en grandissant, ce fut une chose plus aisée. Johan gardait nos cheveux bruns, comme moi d'ailleurs, mais les miens étaient toujours plus longs que ceux de mes frères, (normal me direz vous). Jordan, lui, prit une couleur plus claire. Il fut ainsi plus aisé de ne pas nous confondre. Et puis, nos caractères se sont affirmés aussi. Nous n'avons pas beaucoup changé à ce niveau là. Johan est resté le plus calme d'entre nous, même s'il se joint à nos délires parfois. Le plus fouteur de merde, j'vous le donne dans le mille, c'est Jordan. Lui et moi, on a passé notre temps à se battre, monter aux arbres et faire des conneries. Oui parce que, voyez vous, vivre avec deux frères, ça déteint forcément sur votre personnalité féminine, et vous préoccupez bien vite jouer aux petites voitures et de faire la course que de savoir si Barbie est toujours amoureuse de Ken ou si celui-ci va lui préférer sa cadette Stacy. Bref, mon caractère n'a pas beaucoup changé depuis. Mes frères vous le diront d'ailleurs. «Tu peux pas te tenir tranquille Ryan?» Ça, c'est la phrase préféré de Johan. Il me la répète sans arrêts. Que voulez vous. Je ne tiens pas en place. Le nombre de retenues ou de punitions que j'ai eue parce que je ne restais pas sagement sur ma chaise dépasse l'entendement. Active, vivante, remuante, et infatigable, et quand la phrase préférée de Jordan, c'est « Hey, on fait la course Ryan ?», vaut mieux être infatigable. Suite à cela, s'est développé mon côté susceptible mauvais joueur et de mauvaise foi. Oui parce que, mes capacités physiques sont moins développés que celles de mon frère, alors je perds souvent, pour ne pas dire tout le temps. Jordan prend un malin plaisir à me voir me ridiculiser face à lui. Mais je ne refuse pas un défi, surtout quand celui-ci vient de mon imbécile de frère.

A nous voir comme ça, on ne dirait pas qu'on est frères. Un air de famille peut-être, mais si peu. Même sur les photos d'ailleurs. Ces gamins sont adoptés avaient dit une mère de famille à une autre alors qu'on allait à l'école. Non non m'dame, on est bien frères et sœurs de sang, et triplés en plus. Johan n'est qu'un bavard contrairement à Jordan et moi qui avons tendance à tout garder pour nous. Je m'entend plus avec Johan qu'avec Jordan cependant, peut-être parce qu'il a un caractère plus posé. Jordan est trop comme moi, c'est vraiment casse-pieds parfois. De plus, j'suis de nature assez autoritaire, et quand j'essaye d'imposer ma loi, mes deux frères se liguent contre moi. Mais je les aurai un jour, je les aurai. Je ne baisse pas les bras. Jamais. Et quand je veux quelque chose je l'ai. Exemple. Trois chambre dans cette maison. Une pour Alfred, notre oncle qui a bien voulu nous prendre sous son aile. Une grande et une petite. Hors de question que j'ai la petite et que je partage avec l'un des deux crétins qui me servent de frères. J'ai gagné haha; L'oncle Alfred n'a pas su me résister. Je peux être très perfide et rusée quand il le faut.

Et voila qu'on grandit. On va donc à l'école. Se succède les photos de classe et les photos avec les copains. Simple, on avait les même. Je ne m'entendais pas beaucoup avec les filles à l'école, j'étais meilleure gardienne de but que fausse maîtresse d'école. Et puis, un jour, j'ai trouvé mon double, ma sœur de cœur. Ah, d'ailleurs, vous voyez la petite blonde sur la photo à côté de moi? C'est elle. On a le même âge, et on s'est suivies à l'école de nos trois à nos huit ans. Elle s'appelle Tara. Elle était comme moi, et elle sait ce que c'est que d'avoir ses frères sur le dos toute la journée. On avait six ans, ou peut-être sept à cette époque la. Malheureusement, à huit ans, j'ai dût déménager. Nous sommes allés vivre chez notre grand-mère à Dublin. Comment garder contact à huit ans si les parents n'y mettent pas du leur? Hein? J'vous l'demande. J'ai vu Tara le jour de mon déménagement pour la dernière fois. Adieu Belfast et bonjour Dublin.

La bas, avec mes frères, on a eu du mal à s'intégrer. Ça se voit plutôt bien d'ailleurs : fini les week-ends avec les copains, aux anniversaires, deux fois moins de monde. C'est à peu près à cette période qu'on s'est de plus en plus rapprochés. Je ne dirai pas que nous avons un lien télépathique, mais un seul regard entre nous et on se comprend. C'est plus que suffisant. A partir de la, rien d'exceptionnel ne nous est arrivés. Il y a eu les premiers flirts, les premiers copains, les premières grosses conneries. Jamais je n'ai retrouvé une amie comme Tara. Au fil du temps, je me suis féminisée et donc, j'avais moins de mal à avoir des amies féminines, mais leur discussions me gonflaient. "Oh la la, regarde, Vanessa et Zac ensemble ? " "Oh, et Hugh Jackman, il est pas trop craquant" ... Généralement, mes frères arrivaient "Partie de foot les filles?" Forcément, j'étais la première à enfiler un jogging et à partir avec la bande de potes. A dix-sept ans, après une énième dispute avec les parents, Jordan et moi avons fugué, un mois entier on s'était planqué, même Johan ignorait où on était. On est revenu parce que grand-mère est tombée malade. Ce fut la réconciliation en réalité. Elle s'est remise bien vite, et tout rentrait dans l'ordre. Enfin presque.

Le dernier mois de décembre photographié. Nos dix-neuf ans. Noël, puis les Vingt-cinq ans de mariage des parents. C'est une vie des plus parfaites, même si la présence d'une sœur me manque. Maman était sévère et ce n'était pas la maman-copine rêvée. J'ai appris à ne pas me plaindre, surtout quand je pense aux Deepson dans la maison d'en face. Eux sont malheureux, nous non. Ils me font presque pitié des fois. Suite à ça, des photos de vacances, de parties de base-ball, de vélo, des rires, de la joie, allez, on pose pour celle-ci, c'est pour l'oncle Alfred qui vit aux États-Unis. Nous sommes sa seule famille, il sera content de recevoir de nos nouvelles. Oh, elle est tellement bien réussie, direction l'album. Juillet, vacances à la mer. Fantastique. Août, direction la France. Enfin pour les parents, nous, on reste ici et on prépare notre prochaine année scolaire. Dommage, j'aurai bien aimé visiter la France. Pas beaucoup de photos en juillet. La dernière étant le départ. Une page blanche et un article de journal.



127 disparus, dont papa et maman. C'est la dernière chose qui leur est consacré cet article, et pas un nom. Non, juste : 127 disparus. Y'en a 125 que je ne connais pas, mais je me met à la place des familles. Je comprend leur douleur. C'était le 21 Août. Trois septembre. Expatriés aux États-Unis, chez l'Oncle Alfred qui subviendra à nos besoins et qui fournira l'argent nécessaire à nos études. Pas d'enfant, riche actionnaire, que demande le peuple. L'argent de poche coule à flot, et bien qu'on vive dans une petite ville, dans ce qu'il appelle sa maison de campagne, je sais que le jour où on se sent à l'étroit, c'est direction le palace qu'il a fait construire dans le Tennessee. Voila ce qui explique ma présence ici. Nous sommes allés à la fac la plus proche, mais depuis deux mois, je ne sors que pour aller la bas. Johan est comme moi, Jordan a commencé à rencontrer du monde. Mes pensées moroses s'arrêtent là, en même temps que le papier brûle, en même temps que je referme l'album photo de cinq vies. Des pas dans le couloir approchent.

L'album photo regagna sa place, sur la table de nuit, en tant que livre de chevet, livre de vie, livre de deuil aussi. J'ai tenu à le garder, mes frères ne s'y sont pas opposés. D'ailleurs, leur console est éteinte, et je les entend arriver. Ça frappe, ça c'est Johan, j'ai pas le temps de dire quoi que ce soit que la porte s'ouvre. Merci de ta bienséance Jordan. Je pose mon regard sur mes deux frères, le premier toujours un air posé, l'autre avec un sourire ignoblement insolent grand comme une maison.

JORDAN « Oh, bah qu'est ce que c'est que cet air mélancolique sur ton visage Mini-crotte ?»
JOHAN « Jordan ... »
RYAN « Arrête de m'appeler comme ça, espèce d'idiot sans cervelle. Et puis, tu sais même pas ce que ça veut dire mélancolique en plus ! »

Entre mon frère Jordan et moi, c'est une grande histoire d'amour. Depuis qu'il sait parler, il m'appelle Mini-crotte. C'était drôle quand on a cinq ans, maintenant qu'on en a vingt, la blague me fait plus rire. Johan a beau tenter de le raisonner, y'a rien à faire. Tout comme moi, Jordan est têtu comme une mule. Johan est venu me rejoindre sur mon lit, imité de près par Jordan, excepté que dans le premier cas, je n'ai pas failli tomber parce que mon frère avait fait rebondir tout le monde.

RYAN « Alors, et cette partie de foot? »
JORDAN « On peut pas jouer avec lui, il est daltonien !»
JOHAN « C'est faux, tu met des maillots de même couleur aux deux équipes toi aussi ! »
JORDAN « C'est pas moi qui ait choisi ! »
JOHAN « Tu as choisi les équipe de la sorte exprès ! »

Mes frères passaient leur temps à s'embrouiller pour des bêtises aussi grosses qu'eux. Très souvent d'ailleurs, un peu trop selon les parents. Ça me fait drôle de ne plus entendre maman crier du bas de l'escalier qu'elle souhaite un peu de silence dans cette maison.