Parce qu'on a tous envie d'avoir un enfant [JENAE]

Il fut un temps où l’âme aventurière guidait Jude là où bon lui semblait. Il voguait tel un papillon, selon ses sentiments et ses envies, faisant abstraction de tout. Il n’aimait pas se prendre la tête et préférait suivre son instinct que de réfléchir aux conséquences. Et cela lui valu d’innombrables situations saugrenues. Mais avec les récents événements liés à la forêt, le jeune irlandais avait revu ses ambitions à la baisse. Il en avait tellement vu, tellement subi qu’il s’était promis que s’il rentrait chez lui en vie, il arrêterait toutes ces bêtises. Il se calmerait, ferait plus attention à lui que d’ordinaire et surtout réfléchirait à deux fois avant de se lancer dans une aventure. Danae puis Aogan…, il en avait trop vu. L’explosion au campement et voir Kate autant blessée, allongée sur un lit d’hôpital avaient été la goutte qui fit déborder le vase. Il avait tout de suite eu l’envie de retourner à la civilisation, retrouver Greenville et ses rues peuplées, gambader dans les couloirs de l’université et vaquer à ses occupations préférées qui étaient la musique et la photographie. Pourtant, dieu sait combien il avait attendu cette aventure avec envie. S’installer au campement, passer du temps avec ses amis dans un lieu particulier et vivre une expérience unique l’avait tellement stimulé au départ. Mais tout s’était enchaîné, à partir du septième jour pour être précis. Son monde s’effondra, lui qui ne croyait pas au mythe si légendaire qui entourait la forêt. Bien qu’il n’y croyait toujours pas, Jude avait néanmoins eu quelques soupçons. Mais en y repensant, ceux-ci disparurent aussitôt : la forêt n’avait rien de légendaire, elle était simplement immense, piégeuse mais comme toutes les forêts. Jude n’y avait fait aucune mauvaise rencontre et les décès de Danae et Aogan restaient mystérieux. Peut-être parce que eux avaient tout simplement fait une mauvaise rencontre, ils étaient peut-être tombés sur un déluré qui s’était déchaîné sur eux. Mais pour le jeune homme, il n’y avait rien d’extraordinaire, pas de bêtes maléfiques, ni quoique ce soit. Et puis maintenant qu’il était rentré à Greenville, il tentait d’oublier les mauvais moments parce qu’il y en avait eu des bons. Il avait partagé d’appréciables instants avec ses amis et avait trouvé le lien magnifique. Les cascades, les petits chemins, le lac, les falaises. La forêt regorgeait d’endroits inhabituels et superbes. Il avait apprécié chacun de ces liens à leur juste valeur et il en avait pris plein les yeux.

Méditant, Jude marchait tête baissée, une cigarette au bec, le long des allées du parc. C’était en fin d’après-midi. Le soleil commençait à s’abaisser doucement mais il réchauffait encore assez l’atmosphère pour pouvoir être uniquement vêtu d’un tee-shirt comme l’était l’irlandais. Une paire de lunettes fourrées sur le nez, ce qui était peu commun pour lui, il continuait son chemin sans trop savoir où aller. Il avait vu Kate, il avait parlé à Tara, il avait joué de la musique avec Enzo, il avait ignoré Bella, il avait agacé Noah, il avait jouer au martyr avec Anthony… Sa journée avait été bien remplie. Mais que lui restait-il à faire ? Encore un ami ? Encore une rencontre impromptue ? Puis il pensa à une chose : son appareil photo était resté depuis bien trop longtemps dans ses affaires qu’il allait rouiller. Il se décida alors à retourner chez lui pour aller chercher ledit appareil et prendre quelques clichés, d’autant plus que la lumière du jour était telle que cela était intéressant. Il tourna alors au coin de l’allée, passa dans l’herbe et se dirigea vers la sortie du parc. Les voitures, les poussettes, les jeunes affluaient de toute part. Ah, qu’ils avaient été tout de même tranquilles pendant cette quinzaine loin de la pollution et loin du vacarme quotidien. Il s’arrêta, attendant de passer après une bonne dizaine de poussettes avec des bambins qui ne cessaient de piailler qu’ils voulaient une glace et sortit du parc. Tout à coup, une poussette passa devant lui en trombe. Il s’immobilisa avant de comprendre. La poussette avec un enfant dedans se dirigeait tout droit vers la route. Et une voiture approchait. Soudain, tout alla très vite. Il couru, rattrapa la poussette, entendit des cris de toute part et recula. Et la voiture passa. À une allure folle.

« Imbécile ! Tu aurais pu freiner, crétin ! » s’époumona-t-il.

Mais la voiture était déjà loin. Après une énième accélération bien sûr. Encore un « kiki » qui se la pétait dans sa nouvelle bagnole et qui avait mis de la musique à un tel volume que toute la ville pouvait en profiter. Jude lança un dernier juron avant de se calmer et de rapporter l’enfant à sa mère. Ce premier criait et pleurait toutes les larmes de son corps. Et Jude le comprenait parfaitement. Il y avait eu de quoi avoir peur. Mais la mère…, que faisait-elle ? Où était-elle passée ? Comment avait-elle pu ne pas mettre les freins de la poussette si elle ne la tenait pas ? Jude scruta les environs, aucune mère ne se précipitait pour récupérer l’enfant. Le jeune homme se tourna alors vers ce dernier et une moue apparue sur son visage. L’enfant lui répondit en haussant des épaules. Que c’était beau le langage des bébés. Puis Jude releva la tête en cherchant une seconde fois la mère, ou le père peut-être. Mais rien. Personne. Il se retrouvait là, seul, avec un enfant. Un enfant qui avait besoin de bras réconfortants, de mots rassurants et surtout de parents. Des têtes connues et des baisés aimés. Mais c’était le néant. Il était définitivement seul avec lui. Mais que devait-il faire ? L’apporter au commissariat ? Finalement, il décida d’attendre. Peut-être que quelqu’un daignerait venir le chercher. Il cala la poussette sur le côté du grillage qui entourait le parc et attendit, s’allumant une cigarette pensant que cela tuerait le temps.